Un certain mystère plane autour de Roger 23. Reconnu pour son éclectisme, ce vétéran a collaboré à de nombreux projets, et amènerait apparemment une baguette magique un peu partout avec lui. Responsable depuis plus d’une décennie d’excellents disques sortis sur des labels tels que Volt Musik ou Playhouse ; il est finalement assez peu connu du grand public. Nous avons l’honneur d’accueillir sur Input Selector ce « dj pour les djs ».

Lorsque j’ai contacté Roger 23 pour une interview, nous avons convenu que nous communiquerions par courrier. Quelques semaines plus tard, la poste me déposait un petit paquet contenant un disque dans une pochette réalisée avec soin.

Cher Roger,

J’ai été  vraiment heureux de recevoir ce magnifique CD que vous m’avez envoyé il y a quelques semaines. Non seulement le mix est admirable à bien des égards, mais dans ce monde « infiniment numérique », le sentiment de tenir quelque chose entre ses mains est très agréable. Cela m’a donc pris un peu de temps pour vous répondre car j’ai ressenti le besoin d’aussi créer quelque chose pour vous.

Rechercher est une partie amusante du journalisme, dans votre cas, cela m’a même mené vers des sites au charme désuet, où j’ai pu trouver le compte-rendu d’une soirée s’étant déroulée dans une ville de France dont j’ignorais l’existence (Sarreguemines) ! Habituellement je commence avec la biographie officielle, et après voir lu la votre et écouté le mix, j’ai pensé : « mais Roger 23 est peut-être effectivement un magicien ? ».

Vous m’avez demandé de ne pas poser des questions ennuyeuses. Je me suis ainsi trouvé dans un petit dilemme. En effet je prépare un entretien et j’ai en général quelques questions et un plan en tête qui me permettent d’engager une discussion, mais ensuite je m’adapte, et c’est en général à ce moment que les choses deviennent plus intéressantes (un peu comme un dj set). Dans le cas où je dois envoyer directement les questions, je dois admettre que j’ai trouvé difficile de ne pas tomber dans la facilité.

 

Cher Christophe,

Pardon pour le petit délai, mais j’ai pris du temps à décider où je voulais aller dans cette interview. Tout d’abord je vous remercie pour votre lettre et ce collage que vous m’avez envoyé. Cela m’a procuré un grand sourire.

Comme j’ai pu le remarquer vous avez complètement compris mon intention avec ce CD ! Vous avez parfaitement raison lorsque vous parlez de monde numérique. J’ai cette chanson en tête : Heaven 17 – We Live So Fast

We live so fast
No time to waste
We can’t stand still
Make the first step and reach out for tomorrow
Move out of my way it’s time to make it happen

Cela décrit notre époque, l’ère numérique… Consommer est notre but premier plutôt que de nous focaliser sur différentes choses. C’est la raison pour laquelle j’utilise la poste, il y a vraiment une différence lorsqu’on tient quelque chose. C’est important pour moi, car je ne peux me concentrer sur quelque chose d’invisible. C’est aussi probablement pourquoi je continue d’acheter des disques… Désolé pour ma biographie, mais j’en ai horreur. Personne ne s’intéresse à mon plat favori, et ce qui compte est le présent, rien d’autre !

Je ne sais pas si je suis un magicien, et c’est aux autres de décider. Je suis toujours heureux d’atteindre quelqu’un avec ma vision de la musique. J’aime représenter une musique et l’apporter à une audience, ce n’est définitivement pas pour tout le monde, mais pour moi un DJ doit aussi éduquer et avoir une certaine âme plutôt que d’empiler les disques qui marchent.

En parlant de question facile ? Quelle est la signification du 23 ?

Chaque nombre a un sens, et 23 représente le chaos. Je ne suis pas particulièrement chaotique, mais je peux être désordre. Le chaos peut être un déclenchement…

Vous semblez particulièrement énervé par le consumérisme. Il semble de nos jours que de nombreux artistes passent beaucoup de temps à trouver un équilibre lorsqu’il s’agit de se promouvoir. Ces dernières années ont vu la naissance d’agences énormes et d’un système impliquant les promoteurs, les journalistes, et de nombreux acteurs dans ce que l’on peut qualifier de business. Vous êtes un collectionneur, vous étiez aussi disquaire. Quel est votre point de vue sur les évolutions récentes de l’industrie de la musique électronique ? Le plus positif, le plus négatif ?

Vous avez bien raison ! Je déteste le consumérisme et je me demande souvent la signification de tout ça… Je préfère la qualité à la quantité. Je ne comprends pas pourquoi les gens font attention aux photos en noir et blanc de tel ou tel DJ penchant sa tête vers la droite ou la gauche, alors qu’on ne prête pas attention à ce qu’ils font réellement. Le pire c’est que tout le monde copie ça. Mais il semble que si les « dieux » vous disent quoi faire, il est politiquement correct de suivre et copier ce qu’ils disent. Je suis convaincu que ça ne fait pas avancer le mouvement techno. Cela le bloque dans un vide, et c’est pourquoi cette scène manque d’inspiration en ce moment. Je ne comprends pas pourquoi les gens préfèrent faire partie d’un groupe plutôt que de se développer individuellement. Je vois ça comme un échec absolu, je préfère avoir le sentiment de ne pas pouvoir être remplacé facilement. Je vois un avenir assez sombre dans la musique électronique, et c’est je pense la raison du nombre de sorties qui sont des « re-issues ». Bien entendu nous ne pouvons pas tout réinventer, mais le numérique nous donne la possibilité de mixer et « dé-mixer », de créer quelque chose d’unique. Je prie pour un peu de lumière dans ce vide.

Vous me donnez l’impression d’être extrêmement minutieux. De la sélection à la création, pour ce mix, vous avez même réalisé un visuel. Êtes-vous un peu obsessionnel compulsif ? Quel est le plus gratifiant pour vous : créer, exposer à une nouvelle musique ?

Je fais effectivement très attention, et je réfléchis beaucoup sur où je veux aller. Obsessionnel je ne sais pas, mais avec les requins et les augmentations de prix massives des disques (NDLR : référence à l’inflation sur Discogs), je décide de garder beaucoup de choses pour moi avant qu’il ne soit trop tard et que certains essaient de faire de l’argent avec. Je pense que c’est la mauvaise attitude de limiter ce marché, car c’est complètement artificiel. Nous parlons toujours de musique, et il faudrait un endroit pour que les disques puissent vraiment être présentés. Quelle est l’utilité de trésors restant exposés sur une étagère par quelqu’un de riche ? Alors qu’ils pourraient être joués dans des clubs et provoquer des réactions chez un public.

« Voulez-vous garder le vinyle en vie, ou voulez-vous soutenir le marché numérique ? »

J’aimerais que les DJs et les vendeurs fassent plus attention à ce qu’ils font, plutôt que d’exposer ce genre de comportements aux autres.

Est-ce que les clubs et les « clubbers » vous laissent assez de liberté pour vous exprimer ?

J’ai appris à guider une audience. Dans 90% du temps j’ai une liberté totale par rapport à ce que je fais. De temps en temps on joue au mauvais endroit et cela devient compliqué. Mais ces expériences négatives sont importantes car on en apprend énormément. Cela vous aide à vous améliorer et on tente alors de toucher au moins une personne.

J’adore la narration dans votre mix, et il me donne l’impression qu’il y a beaucoup de travail et que tout a été très réfléchi. Qu’aviez-vous en tête lorsque vous l’avez réalisé ? Est-ce que vous laissez de la place à l’improvisation ? 

Ne pas être un juke-box ! J’avais une vision bien entendu, et je prépare chaque date. J’ai une idée, et je désire créer une atmosphère et laisser opérer la magie… Si votre sélection musicale convient à la salle, c’est la moitié du travail. Je laisse assez de place à l’improvisation, mais j’ai toujours quelques morceaux en tête qui doivent être joués.

À quoi pouvons-nous nous attendre en 2014 ? Avez-vous passé beaucoup de temps en studio ?

Haha, je n’aime pas parler du passé ou du futur… Parlons de maintenant !

Le 10 mars 2014 :