Qui peut le moins peut le mieux.

On peut attribuer les premiers balbutiements de la musique électronique à l’apparition dans les années 60 aux États Unis d’un nouveau courant musical d’avant garde : la musique minimaliste répétitive, terme emprunté au minimal-art qui se rapporte à un mouvement artistique global : le Fluxus. Celui-ci avait pour utopie d’exploser littéralement les limites de la pratique artistique, d’abolir les frontières entre les arts et de construire un lien entre l’art et la vie. Ses protagonistes vont alors chercher une certaine neutralité esthétique: cela passa par l’épuration des formes, une relative froideur et le refus de toute subjectivité. Un seul mot d’ordre : « The less is more ».

La musique minimaliste répétitive se caractérise avant tout par un retour à la tonalité et à la pulsion rythmique, thèmes quelque peu délaissés à cette époque. Les pionniers du mouvement vont d’abord expérimenter la « Tape Music » : ils utilisent des bandes magnétiques qu’ils coupent, collent et superposent afin de réaliser des boucles à partir de courts motifs à pulsations régulières sur lesquelles ils imposent d’infimes variations, provoquant chez l’auditeur des effets psycho-acoustiques surprenants. L’œuvre considérée comme fondatrice du minimalisme et expérimentant ce procédé du déphasage est « In C » (« En Do majeur » en anglais) de Terry Riley composée en 1964.

Cette pièce présente un concept alors inédit : la partition est uniquement composée de 53 phrases musicales pouvant être jouées par n’importe quels instruments: les musiciens doivent jouer chacun de ces motifs, et le répéter autant de fois qu’ils le désirent avant de passer au motif suivant.
Il n’y a aucune contrainte sur le nombre minimal ou maximal de répétitions. Ainsi, la partition de In C tient sur seulement deux pages, mais les représentations de cette pièce musicale oscillent entre 30 et 90 minutes.
Le résultat est un tissu musical tournant sur lui-même et évoluant lentement d’une couleur à l’autre, d’une tonalité à l’autre, au gré de la sensibilité des musiciens.

Certains compositeurs minimalistes se sont par ailleurs plongés dans l’étude des musiques traditionnelles : Terry Riley, La Monte Young et Charlemagne Palestine ont suivi l’enseignement de Pandit Prân Nath, grand maître du raga indien du nord. Beaucoup sont également issus du mouvement Jazz (Steve Reich, La Monte Young).

Fils spaghettis à la sauce Moog.

La naissance de ce mouvement correspond également à l’arrivée des premiers instruments électroniques que les compositeurs minimalistes s’empressent d’incorporer à leurs productions. Les oscillateurs, les filtres et les synthétiseurs analogiques grand public font leur apparition.

En 1968 le Dr Robert Moog révolutionne le marché des synthétiseurs en proposant un modèle abordable et relativement compacte; jusqu’alors, il fallait souvent une pièce entière. Le légendaire – et toujours très convoité – synthétiseur Moog était né.

Le son véhiculé par cet instrument aux « fils spaghettis » fascine, surprend. Il est délicat et même parfois impossible avec les moyens techniques d’aujourd’hui de reproduire fidèlement ces sonorités si particulières, l’analogique rendant à chaque fois le son déclenché par la pression d’une touche sensiblement différent.

De la Tape Music à la Techno minimale.

On retrouve largement l’influence des minimalistes auprès du mouvement rock des années 60 à nos jours : The Velvet Underground se situe en « filiation directe » avec ce courant. Les anglais de Soft Machine reconnaissent en Terry Riley une influence majeure, tant par ses travaux de manipulations de bandes magnétiques que par son approche modale et répétitive de la musique.

Quant au mouvement Techno, le lien est encore plus étroit.
On peut aisément établir des parallèles entre les techniques de composition employées par des producteurs tel que Richie Hawtin ou Surgeon et celles des compositeurs minimalistes, en particulier les systèmes de déphasages employés dans plusieurs des travaux de Steve Reich, l’utilisation de certaines nappes propres à La Monte Young ou les modèles répétitifs de Terry Riley dans « In C ».

Une dizaine de DJ (parmi lesquels DJ Spooky, Alex Smoke et Coldcut) rendaient d’ailleurs hommage à Steve Reich avec l’album « Steve Reich Remixed » (1999) en revisitant quelques-unes de ses plus grandes oeuvres.

Enfin, les allemands de Kraftwerk se produiront le 2 juillet prochain (2009) lors du Manchester International Festival aux côtés de ce même Steve Reich pour une performance artistique qui s’annonce d’hors-et-déjà inoubliable.