Tout le monde est d’accord, cela fait déjà près de deux ans que le nombre de soirées explose dans la capitale et les grandes villes de France. A la tête de ce déploiement tous azimuts, un nombre toujours croissant de collectifs plus ou moins neufs, implantés dans la nuit depuis une dizaine d’années ou quelques mois. Tous possèdent leur identité propre, un état d’esprit, une vision de la fête bien à eux.

Input Selector se propose de partir à la rencontre de ceux qui amènent toujours plus de danseurs à apprécier les infinis méandres des musiques électroniques, et à repousser chaque week-end – chaque jour ! – les limites de la musique, du corps et de la nuit…

 C’est Jeremy, le capitaine du navire Exploration et de son équipage d’une dizaine d’acolytes, que nous avons d’abord choisi de rencontrer. Il navigue sur le pont du Batofar tous les premiers vendredis du mois pour les apéros L’Expédition, et torpille régulièrement ses sets, comme en mai pour la 75021#5 au 6b ou en warm up de la soirée Tectonic à la Machine du Moulin Rouge.

Question orgas, il sera aux commandes ce 7 juin au Glazart d’une soirée jungle, drum’n bass/juke avec Fracture, puis le 5 juillet à la Chaufferie de la Machine avec la techno des deux frères de Zenker Brothers Soundsystem.

Il nous a offert pour l’occasion un magnifique podcast de 6h40 ! Balade onirique et initiatique d’une jeune fille plongeant dans les abîmes de l’océan et se laissant entraîner par un habitant des profondeurs aquatiques dans les remous d’une musique tout en deepness…

 « Je crois que je ne savais pas ce qu’était la basse avant d’arriver ! »

Jeremy Exploration nous a donné rendez-vous aux amphithéâtres qui bordent la Seine, près de Jussieu. Entre les arbres et les bosquets, les promenades baladent quelques familles, l’eau reflète des couples romantiques, deux furets surexcités tirent sur leurs laisses, ventres au sol. Un havre d’espace et de nature au cœur du tumulte urbain, est-ce là l’idée de l’exploration, du voyage, d’un retour pour une nuit à l’essentiel, que cherchent à dessiner Jeremy et l’équipe d’Exploration Music lors de leurs événements dans la capitale ?

« Je suis arrivé à Paris il y a 10 ans, et c’est ici que j’ai vraiment commencé à sortir, explique simplement Jeremy, auparavant, cette ville me faisait un peu peur ». Pourtant, l’esthétique qu’affichent les flyers des soirées – ce Batofar traversant un Paris inondé, devenu jungle – et cette façon de raconter son propre parcours ne trompent pas. Il y a quelque chose d’un désir de nature dans Exploration. « Je suis né à Paris, mais j’ai grandi dans le désert, avoue-t-il. J’aime le son espacé, avec de la retenue ».

Dans le désert ? Au Qatar, d’abord, où il passe ses dix premières années, puis aux Emirats arabes unis. Après avoir vécu 3 ans en Roumanie, à Bucarest, il revient à Paris, à 19 ans. « Je crois que je ne savais pas ce qu’était la basse avant d’arriver ! », s’amuse-t-il. Aujourd’hui, 10 ans plus tard, les soirées Exploration invitent les noms les plus pointus de bass music, qu’ils soient dubstep, drum’n bass ou dub techno.

« C’est vraiment parti avec Sigha au Batofar, le 27 avril 2012 ». C’est d’ailleurs ce choix d’une programmation dub-techno, léchée et risquée, qui le verra s’inscrire dans le joyeux monde de la nuit parisienne. « Ça s’est super bien passé, alors qu’on n’avait aucune connexion dans le milieu. Julien de Sntwn me contacte et me dit « T’as booké Sigha, je le voulais ! C’est cool de booker des gens comme ça ! » »

En quelques mois, le crew Exploration rencontre l’équipe Sntwn, puis participe à l’open air au 6B. La discussion conduit à parler de La Machine du Moulin Rouge, où les Sntwn sont résidents. Et en février 2013, Jeremy propose la plateau AVN/OCN [Our Circula Sound] avec Sigha (OCN) et Shifetd (Avian) en back to back à la Chaufferie de la Machine. « Un mois après, ils étaient au Berghain ! » s’enthousiasme Jeremy.

Du désert aux soirées techno, un monde ? D’autant qu’en arrivant à Paris, l’homme était loin de connaître cette culture. « Je suis venu avec ma culture MTV, et les soirées avant étaient celles d’expat’, plutôt safe ». Mais alors, comme en négatif, c’est un nouvel horizon qui l’attire : celui des teufeurs, des camés. « D’un coup, j’ai découvert la tribe, le hardcore… En 2003, j’étais derrière le char de Radium lors de la Techno Parade, 6h à danser sans m’arrêter. A la fin, je me suis assis et j’ai senti qu’il s’était passé quelque chose, l’impression d’avoir vécu un esprit tribu ».

« Ça s’est fini en baston, avec jets de parpaings et coups de pistolet à grenaille ! »

Puis, très vite, c’est dans la drum’n bass qu’il se retrouvera. « Je suis tombé sur un flyer pour la Massive, cette résidence drum’n bass mensuelle au Rex Club, et ça m’a bouleversé. A partir de là, j’ai passé 3 ans à écouter exclusivement de la drum’n bass, 8h par jour ! » Au Tryptique, (ancien Social Club), c’est parfois seulement pour le dernier quart d’heure qu’il vient, pour écouter Mousschemist passer « Drop It Down » de Calibre et « True Romance » de dBridge. « Après, le son a commencé à changer, j’allais en soirée pour un ou deux morceaux. Ça m’a saoulé et j’ai commencé à mixer ».

Toujours avec l’envie de passer les sons qu’il veut, qu’il aime, Jeremy organise sa première soirée avec un ami, à Grenoble, en 2007. « C’était juste mon pote en warm up dub, et moi. Il y avait 80, 100 personnes à l’intérieur et 100 personnes étaient restées dehors, parce qu’avec 8kg de son, c’était aussi fort à l’extérieur ! » A l’époque, c’est du Noisia qu’il mixe, du Paradox. Question organisation, la deuxième soirée sera aussi une aventure. Dans la cave d’un ami, qui s’enfonçait dans les catacombes à Gentilly, les voisins du quartier s’incrustent. « Ça s’est fini en baston, avec jets de parpaings et coups de pistolet à grenaille ! »

Les soirées suivantes sont heureusement moins violentes, en tout cas devant les enceintes. La drum, elle, tape toujours aussi fort. En 2008, s’organisent les premières soirées avec l’association « La Cité de l’Aube », dans un bar à Pigalle et dans la cave de la Pointe Lafayette. Il y rencontre Martin Drazel, qui restera son acolyte jusqu’à aujourd’hui. Mais l’ambiance cool de l’asso est aussi une contrainte, notamment en ce qui concerne les prises de décisions. « Je voulais aller plus vite, je voulais faire Calibre au Cabaret Sauvage. J’ai alors décidé de monter mon propre truc avec un pote nantais rencontré sur le Net, et Drazel ». Breakbeat Exploration, « la jungle et le beat » était né.

La première s’est déroulé en juin 2009 à la Pointe Lafayette, puis l’aventure a continué à la Régence, « parce qu’on pouvait y fumer des bédots ! ». Mais le problème de la Régence vient d’ailleurs : « le lieu est ghetto, dans une rue à sens unique, et le son était pourri à cause des restrictions pour les voisins ». Après plusieurs soirées, l’équipe s’essouffle un peu… Jusqu’à la (re)découverte de la techno.

« Avant pour moi, la techno, la house, c’était David Guetta ! » Par la minimale, puis, hasard ou destin, par une soirée Sntwn en 2011, Jeremy se voit contraint de réviser son jugement. « Je me suis dit « Ah ouais, sur une vraie sono, c’est bien, c’est agressif ! » Le déclic, c’est quand j’ai découvert Conforce et Redshape : il y a de la techno atmosphérique, comme la drum’n bass que j’aime ! ». L’idée de reprendre les soirées, pour y passer cette musique sous-représentée alors, grandit.

« Je me suis dit : on y est, ça s’est fait » 

Fin 2011, lorsque le programmateur du Batofar sélectionne son projet soirée de techno & bass music UK face à un projet drum’n bass/dubstep concurrent, Sigha est déjà quasiment dans l’avion. Breakbeat Exploration se nomme dorénavant Exploration Music, et l’esthétique du collectif est retrouvée. « C’est la musique de l’exploration, comme la bande-son d’un type paumé sur la banquise ». Retour aux sources.

Depuis, les soirées se sont enchaînées. Avec plus ou moins de succès. Trevino au Batofar en juillet 2012, était trop peu connu, et la plateau multi-genre avec Zadig et Indigo au Glazart en mars dernier n’a pas fonctionné. « Mais lorsque Indigo a mixé « Croms » d’Invisible Cities, je me suis dit « on y est, ça s’est fait » ». Parce qu’au fond, pour cet amoureux du son, si le public n’existe pas pour une scène, il faut aller le chercher. « Au début pour la programmation, on se faisait plaisir. Maintenant, mon but, c’est de monter une scène dubstep/drum alternative. Et on est en passe de le faire ! ».

« La techno, c’est la musique de la ville, de l’homme pressé » 

Passée l’épreuve du feu, Exploration Music a fait ses preuves. « Les gens savent qui ont est, qu’on fait ça propre. » Et la confiance des pairs est là. Jeremy a assuré le chill out avec son pote Drazel au 6b pour la 75021#5. Il tient aujourd’hui résidence tous les premiers vendredis du mois sur la terrasse du Batofar avec les Expéditions, passe régulièrement derrière les platines de l’Udo, de la Cantine du Petit Bain. Et on le retrouve évidemment comme programmateur pour de belles soirées : il organise une soirée jungle, drum’n bass, juke début juin au Glazart avec le célèbre Fracture, puis invite les deux frangins techno de Zenker Brothers Soundsystem le 5 juillet à la Chaufferie de la Machine. Ambivalence quand tu nous tiens.

Son idéal de soirée, évidemment, c’est une belle rencontre entre les basses, qu’il a su faire siennes, et cette nature qui l’attire tant. Au bord d’une plage, sous le soleil, accueillir pour un week-end autogéré 200 personnes à danser sur les sons de Martyn, de dBridge, de Teebee – « pour un set oldschool, pas ce qu’il fait aujourd’hui » – mais aussi de Sigha, de Shifted, la house de Moomin sur la plage, mais aussi du reggae et du dub, ses premiers amours, avec, pourquoi pas, Abashanti I.
http://www.youtube.com/watch?v=fUtqb21Z0wg

Mais pas question de bousculer la faune et la flore locales. « On n’a rien à faire là, la techno, c’est la musique de la ville, de l’homme pressé. C’est le fruit de notre environnement. Ce n’est pas étonnant que les kids en proie à la sur-information écoutent du dubstep super agressif… » Non, plutôt recréer une zone d’espace et de nature temporaire, avant de replonger dans le tumulte.

 

Jean-Paul Deniaud

Les liens

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