Oliver Deutschmann s’est affirmé comme une force qui compte dans la musique électronique contemporaine. 2013 a vu la sortie d’Out of the Dark, un premier album réussi où l’on retrouve la qualité et ce son brut qui caractérise ses productions. Cet homme très actif qui dirige entre autres Vidab et Falkplatz m’a donné rendez-vous pour discuter un peu, avant de se rendre à Paris pour l’anniversaire des 5 ans d’Input Selector.

Il t’arrive de produire autre chose que de la house ou de la techno ?

J’avais un groupe il y a longtemps. Mais lorsque j’ai décidé de favoriser ma carrière de DJ, j’ai arrêté. Un groupe signifie des répétitions, des compromis. L’avantage lorsque tu es DJ ou producteur, c’est que tu es seul. Aujourd’hui je produisais quelqu’un, nous avons donc travaillé ici ensemble, et j’ai dû faire des compromis car ce n’est pas la musique que je produirais habituellement. Mais c’est aussi un bon challenge de produire pour d’autres. J’espère un jour produire d’autres trucs, pas de la pop, mais quelque chose comme Nine Inch Nails. Je pense en être encore à mes débuts en tant que producteur.

Tu as sorti ton premier disque en 2007, tu trouves qu’il y a encore beaucoup à faire pour t’améliorer ?

Je ne pense pas être assez bon. Ne pas se satisfaire, c’est très important comme attitude.

L’année dernière tu as sorti un mix accompagné d’un film réalisé par les 29 November Films. Est-ce quelque chose que tu souhaites développer ? Une envie de produire une bande son ?

Sur ce projet, il était clair depuis le début que j’allais faire un mix, et qu’ils feront le film pour accompagner cette musique. Mais l’inverse serait intéressant aussi, beaucoup de travail probablement, mais pourquoi pas ? Et je ne peux pas jouer le Berghain jusqu’à 70 ans, quoique, peut-être que si.

Pourquoi pas ? Boris par exemple n’est plus si jeune.

Franchement j’adore ça, mais c’est dur. Chaque weekend jouer le vendredi et le samedi, je ne veux pas me plaindre, mais faire ça jusqu’à 70 ans…


Sans-titre-5Surtout lorsqu’on joue des « marathons » comme tu sembles l’apprécier.

Beaucoup de DJs Berlinois y sont habitués. Ce sont souvent les Américains qui me disent « Je ne peux pas jouer plus de trois heures », et je réponds « Quoi ? C’est tout ? ».

Tu arrives aussi à t’exprimer dans des formats plus courts ?

Oui bien entendu, même si on a moins de temps pour développer une atmosphère. Ce n’est pas un problème,
pour samedi, je vais simplement préparer mes 15 morceaux les plus violents (rires).

Tu voyages beaucoup en ce moment, en Asie entre autres, tu te souviens de tes débuts ?

Je me rappelle être allé aux fullmoon parties de Koh Phangan et de leur avoir dit « Hey je veux jouer ». Ça les a surpris, j’ai insisté et ils ont fini par accepter « t’as fait 10000 km avec tes vinyles, tu dois jouer ».

Tu avais voyagé avec tes vinyles sans avoir de date à l’avance ?

J’avais voyagé avec une cinquantaine de vinyles. Je ne le ferais jamais aujourd’hui, mais c’était il y a dix ans, et je voulais à tout prix jouer partout où je le pouvais.

Comment a été l’expérience, ça en valait le coup ?

C’était génial. J’ai commencé avant le lever du soleil dans une de ces petites cabines. Le soleil a commencé à apparaître et j’ai alors balancé ce gros hit de Nathan Fake, « The Sky Was Pink ».
vinyl J’ai joué trois heures supplémentaires, en me prenant de bons coups de soleil. Je ne me suis rendu compte de rien car j’étais complètement ivre à cause de la vodka redbull (rires). C’était un peu étrange, je jouais de la minimale techno de Berlin, du Troy Pierce. Mais à côté il y avait un stand Goa plein à craquer. Les gens de mon côté avaient l’air de se dire un peu « ok c’est pas mal, mais où est la puissance ? ».

Quel a été l’événement le plus important pour toi cette année ? Ton album ?

Mon album sans aucun doute. Tout d’abord de le finir, j’avais toujours voulu le faire, mais je ne m’étais jamais senti assez bon. Je l’ai terminé en 2012 mais il n’a été sorti qu’en 2013. Les illustrations, la promo… On termine quelque chose, 6 mois plus tard cela sort, et on ne peut plus le jouer…

Beaucoup de producteurs que je rencontre ont ce ressenti. Lorsqu’un morceau sort, ils s’en sont déjà lassés.

Il faut beaucoup de chance pour avoir l’opportunité de finir un track et de le sortir dans la foulée. C’est très rare, mais avec un album c’est simplement impossible, on doit faire la promotion, rencontrer la presse. On a utilisé Tailored Communication et c’était vraiment bien, mais cela prend du temps.

Tu viens de mentionner Tailored Communication. Tu penses quoi de tout ce système ? De comment cette industrie fonctionne ? C’est un peu devenu une norme.

C’est effectivement une norme, et je ne peux pas dire que j’y prends plaisir. Pour être honnête, je n’aime pas vraiment les interviews.

Je voulais y venir.

Je préfère vraiment te rencontrer en personne. La plupart des interviews sont faites sur mon ordinateur, les questions me sont envoyées, et j’y réponds. On réfléchit longtemps, c’est assez artificiel. On se doit de promouvoir un album, ce serait stupide de ne pas le faire. Avec les EPs j’en suis moins certain, cette année par exemple, j’ai sorti quelques EPs sous un autre projet.

Sous un pseudonyme ?

Oui, plusieurs pseudonymes. L’un d’entre eux vient de sortir, et ils se sont tous très très bien vendus. Sans promouvoir, cela se vend trois fois mieux qu’Oliver Deutschmann sur Falkplatz. J’ai l’impression que les gens ont tendance à préférer la simplicité, les « white labels ». C’est aussi un élément significatif de ces dernières années et de 2013, ce retour aux racines de la house et de la techno.
Dans le cas d’un Loco Dice ou de Richie Hawtin, ils ont développé une marque et ils atteignent énormément de personnes grâce à cela. Mais lorsque c’est plus underground, pour beaucoup il semble plus intéressant d’acheter une musique dont personne ne sait l’origine.

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Tu viens de parler de Falkplatz, l’un de tes deux labels avec Vidab. J’ai l’impression que tu fais partie d’un équipage de pirates, un joli groupe d’artistes avec une philosophie très « Do it yourself ».

C’est la raison pour laquelle je pense que je n’aurais pas dû étudier. Je suis très « DIY », ça a toujours été un problème pour moi d’écouter un professeur. C’est aussi inhérent à la techno, ces agences, ces trucs, c’est important mais pas nécessaire. On peut aussi tout réaliser soi-même et réussir. Je n’ai jamais reçu une sorte de « hype », mais chaque année j’ai toujours plus de dates, et je grandis doucement mais sûrement. J’ai pu voir tellement de producteurs devenir célèbres d’un coup, effectuer une tournée mondiale, et ensuite complètement disparaître. Je pense qu’il n’est pas sain d’être « hype ». Si aujourd’hui je faisais un gros hit, ça irait, mais je n’en ressens pas le besoin, mieux vaut s’installer progressivement si on veut s’inscrire dans la durée.

J’ai pu lire que tu ne joues pas souvent tes productions, tu peux me dire pourquoi ?

Je suis toujours effrayé de vider le dancefloor avec mes productions. (rires)

Vraiment ? Après toutes ces années ?

À mon avis c’est normal de ressentir encore de la nervosité. Je suis tellement nerveux avant de jouer au Berghain, même si j’ai pu y jouer une cinquantaine de fois. À chaque fois que j’entre dans le taxi pour qu’on m’y amène, mon coeur fait « boom » (rires). C’est important, plus je suis nerveux, moins je commets de fautes.

J’ai l’impression que tu sembles jouer et produire de plus en plus techno.

À l’heure actuelle je préfère jouer de la techno plutôt que de la house. J’ai toujours été attiré par un côté plus sombre, et je pense qu’il y a une connexion entre la deep house bien dark et la techno. J’aime un son deep comme Sandwell District. Ben Klock, DVS1, c’est très deep tout en pouvant aussi être violent, mais ce n’est pas juste hard, c’est hard avec de la profondeur, et c’est ce que j’aime.
Je pense que l’album était plutôt deep, mais il est de l’année dernière (rires). En ce moment j’apprécie la techno bien efficace, plus dure, plus rapide. Mais ça ne signifie pas que je ne vais pas produire quelque chose de plus lent et deep dans les prochains mois, je ne planifie rien, je me laisse porter par l’inspiration. Au début j’écoutais beaucoup de producteurs, je me disais « je veux ce kick comme Robert Hood », mais ça n’a jamais vraiment marché.

On parle beaucoup de Berlin et de la vitesse à laquelle elle est en train de muter. Quelle est l’évolution que tu considères la plus frappante ?

Ça a beaucoup changé, il y a davantage de restrictions aujourd’hui, même si on peut pas vraiment considérer ça comme des restrictions si on compare avec New York par exemple. À l’époque, on occupait un lieu et on y faisait une fête.

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Il y a vraiment beaucoup plus de touristes et de filles. C’est un changement que j’apprécie. Qu’autant de gens du monde entier atterrissent à Berlin rend la ville plus intéressante.
Je me souviens de ma première fois à l’Ostgut, Sven était déjà le physionomiste à l’entrée, Marcel Dettmann et Andre Galuzzi jouaient, et il s’y trouvait peut-être 50/100 personnes. Ostgut a été un gros changement pour la scène de Berlin, quelque chose de différent. C’était un choc, l’atmosphère y était vraiment sombre, mais en même temps c’était fascinant. Comme le Berghain d’ailleurs, et on s’y sent tellement en sécurité, pas de photo, pas de violence. Je n’ai jamais vécu autant de tranquillité que dans la scène techno underground, je viens du metal et du hardcore, il s’y trouve de la violence tout le temps.

On sent souvent une touche nostalgique et un peu old school dans tes productions, comme dans cet EP sur Caduceus qui sort aujourd’hui d’ailleurs.

L’importance des filtres, comme ce mutateur que Daft Punk a utilisé pour Homework. Cela donne un son particulier. Je souhaite donner de l’espace, je ne crois pas qu’un morceau de techno a besoin d’arrangements. Il suffit d’écouter « Losing Control » de Daniel Bell. Cette voix filtrée en permanence, ce groove parfait, on n’a pas besoin de plus.
C’est complexe de réussir quelque chose de simple, on a tendance à vouloir en faire plus. Parfois on travaille deux semaines et c’est mauvais, parfois trois heures et c’est fantastique. Une fois avec Stephan Hill (Gowentgone, leur projet commun), nous avons réalisé un morceau en quelques heures, Love and Respect, il fonctionne toujours aussi bien lorsqu’on le joue.


On peut s’attendre à quoi de ta part dans le futur ?
Aujourd’hui sort cet EP sur Caduceus, deux morceaux qui tapent pas mal et des remixes signés Steve Rachmad et LAD. Un EP devrait bientôt arriver sur Addicted, et quelques trucs sous alias. Je viens aussi de faire le remix d’un groupe d’électro pop israélien, TYP. Ils sont énormes en Israël, des superstars. Ils bossent avec celui qui gère X Factor là-bas, des personnes comme Bar Refaeli.

Tu apprécies travailler avec eux ? Tu sembles pourtant extrêmement lié à l’underground ?

Je le suis, et c’est très difficile de travailler pour eux. Cela paie extrêmement bien (rires), j’y ai donc réfléchi. Ensuite j’ai écouté le morceau et je me suis dit « impossible, je ne veux absolument pas être lié à cela ». C’est cette sorte d’EDM avec des voix en autotune…
Après réflexion, j’ai pensé que cela pouvait être un bon challenge. J’ai donc pris les vocalises, et j’ai refait le morceau à partir de là. Je suis plutôt content du résultat, c’est un morceau deep house un peu à la Delano Smith, avec des fragments de voix disséminés ici ou là.

Merci Oliver, nous sommes ravis de t’accueillir samedi.

Je suis assez impatient d’y être, c’est une soirée qui semble prometteuse. J’adore jouer à Paris, même si une fois j’ai joué dans un club un peu bizarre près des Galeries Lafayette.

Tu reçois encore des requêtes un peu curieuses ?

De moins en moins car je suis un peu plus connu. L’année dernière j’ai joué en Ukraine à Lviv… C’était tellement étrange. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont invité, vraiment.
(Imitant un accent Russe) « Nous avons entendu un très bon mix de vous sur Soundcloud, un très très bon mix, vraiment bon, vraiment bon ». C’était un club avec un bordel au premier étage.

Un vrai bordel en activité ?

Un vrai, avec des filles qui dansent nues etc… Le propriétaire du club était aussi propriétaire de la maison close, et il m’a invité à dîner. Je me suis retrouvé avec des mafieux en train de manger des énormes poissons. « Tu veux un shot de vodka ? », et boom, ils te remplissent un verre de 30 cl… Cette fille sensée travailler dans le bordel devait s’occuper de moi, elle est restée assise à mes côtés pendant que je mangeais. Étrange.