Cela fait quatre ans déjà que le label anglais Verdant recordings pose une empreinte discrète mais de plus en plus prégnante dans le paysage deep techno européen. Mené avec passion par le vétéran Andy Green, Verdant tisse de manière subjective des liens ténus mais solides entre des artistes encore confidentiels et d’autres plus confirmés (Plant43, John Shima, XDB ou encore récemment Octal Industries y ont signé quelques belles productions), cherchant d’avantage une coloration musicale où le vert, on l’aura compris, a une place proéminente, plutôt qu’à bâtir un business plan autour d’une recette éprouvée ou d’un roster inamovible. Au gré de various ou de maxis tous aussi recommandables les uns que les autres, privilégiant le format vinyle, la jeune écurie anglaise a tout du label électronique indépendant tel qu’on le concevait dans les 90’s. Rien pourtant de revivaliste ici, bien au contraire : poche de résistance au formatage de toute sorte, le label se veut avant tout artisanal et creuse un sillon qui dépasse les clivages habituels de la techno, de la house et de l’électronica pour proposer, à sa modeste échelle, une sorte de laboratoire du son tech-house anglais.
Après avoir franchi avec succès l’étape du premier long format (le très beau ‘Our Seasons’ d’Octal Industries sorti en fin d’année dernière) et cherchant toujours de nouveaux points de jonction musicaux, c’est vers l’anglais Joe Lucas que le label se tourne. Connu surtout depuis 10 ans sous l’identité Causa pour ses signatures sur Tusk Wax notamment mais aussi Boogie Box, Birdie et 61 Players à ses débuts qui est devenu aujourd’hui Sixtyone, Lucas possède bien d’autres cordes à son arc et d’affinités que sa seule nationalité le laisse d’abord supposer avec l’univers Verdant. A vrai dire The Locks, troisième maxi sous l’identité Sixtyone, est aussi un virage finement négocié par le label. Pour sa huitième référence, l’écurie anglaise se fait plus sombre et lance une passerelle entre l’Angleterre et la France, et plus précisément la Bretagne, où Joe Lucas vit depuis trois ans. S’appuyant sur une deep techno solide dans sa partie remixes (le macédonien Stojche et le duo italien Hiver très efficaces mais égaux à eux même) c’est plutôt vers les trois originaux que se porte l’intérêt de la release. En effet, la musique de Sixtyone explore une veine beaucoup plus narrative et paysagère, partageant le maxi en trois vignettes relatives aux trois lieux qui les ont inspirées en Bretagne. Décrivant la confrontation des climats qui traversent sa vie et sa musique, l’anglais traduit avec une certaine simplicité et sensibilité son parcours récent qui est aussi celui de la maturité. Sur le titre Caurel souffle un vent qui porte avec lui les embruns de l’Atlantique qu’ils proviennent de la Motorcity ou du nord de l’Angleterre. Zelo nous confronte à l’hostilité d’un climat qui sculpte à flanc le paysage comme les falaises balayées par la mer et l’érosion, faisant ressortir de manière encore plus saisissante la beauté du temps qui passe. Tregnaton emprunte un chemin plus méditatif et laisse le travail de mémoire se faire, les limites s’effacer et les lieux se superposer à travers une plage ambient comme si le simple fait d’observer la mer se retirer au couchant était signe de résilience.
Oldschool dans sa facture mais laissant grandes ouvertes ses portes aux courants qui l’ont façonné, comme le font à leur manière les écluses, ce beau maxi aux airs sombres et feutrés est au contraire une des réussites de ce début d’année et un tournant pour l’écurie Verdant. Si le choix de Sixtyone était sur le papier loin d’être évident, il se révèle ici clairement judicieux du point de vue de l’esthétique que défend le label, en apportant cette teinte tech-house à la deep techno. En mettant à jour le travail d’un artiste entre deux pays et entre deux styles (la house et la techno), brouillant juste ce qu’il faut les cartes et les limites établies, il fait aussi affleurer tout un réseau de références et de relations soujacentes qui dessinent une nouvelle géographie musicale. Sur ce maxi flotte un parfum teinté de mélancolie et de futurisme, même s’il reste très organique dans sa production, rappelant la techno française du regretté F- Communications ou l’âge d’or de l’Écosse de Soma. En effet avec cette nouvelle livraison de qualité, Verdant se place clairement dans cette Angleterre que l’on aime, cosmopolite et tolérante, et The locks révèle à ce titre l’évolution constante d’un label qui n’a plus à rougir de la comparaison avec des écuries comme Sistrum ou Appian Sounds, et qui semble vouloir nous dire que c’est avec les reliques du passé qu’il faut bâtir l’avenir.