Basé à Nancy, le label Frequency Shift est né de l’idée d’une subdivision deep techno à la maison mère house BLC recordings. À un moment où le style a le vent en poupe, pour le meilleur parfois mais souvent aussi pour le pire, le boss de BLC, un dénommé Lee Trax et passionné de la première heure, garde les pieds sur terre et ne mélange pas les genres, conservant ses productions et remixes techno pour l’avatar Adam Carling sur Frequency Shift. Menés pratiquement en parallèle, et nourris au même grain, la tournure de plus en plus Detroit house de BLC ne pouvait pas ne pas déteindre sur son aile deep techno. Après une série de maxis définissant son champ d’action et ses différentes velléités, fédérant une poignée d’artistes portés par le même esprit de défrichage et d’exploration (Protyv, Squal G, Subground_3000 dont certains ont été exfiltrés de chez BLC), un premier et très bon various ‘Deep Tech Session’ voit le jour. Il faut dire que le son deep techno actuel a clairement besoin d’outsiders et de renouvellement. Sans avoir d’autre prétention que produire une techno racée et de qualité, avec ce second volume ‘Deep Tech Session Vol. 2’, fraîchement sorti, Frequency Shift pourrait bien compter parmi ceux là.

Sous titré ‘The Detroit Works’, ce second volet ne nous trompe pas sur la marchandise, placé d’emblée sous la figure tutélaire de la motorcity via le producteur Niko Marks. Si ce dernier ne brille pas spécialement sur le très odlschool ‘How Long’ (qui aurait pu sortir sur KMS circa 1992), il donne au moins le ton et laisse le champ libre à ses continuateurs européens. Le passage de relais se fait d’ailleurs le plus naturellement du monde avec ‘D1’ d’Adam Carling, plongée en apnée dans les méandres d’un dub feutré et sensuel qui imprègne la techno de Détroit depuis ses origines, rappelant certaines productions de Delano Smith. Mettant la barre du groove lancinant et immersif assez haut, le track hisse avec classe et simplicité le various à la hauteur de ses illustres modèles américains et porte bien son titre : cette fois-ci on joue dans une autre catégorie.

Le duo bordelais G-Prod l’a bien compris avec un ‘Globoule’ qui, si il avait déjà été dévoilé bien avant cette sortie, continue de diffuser les mêmes effluves enivrantes et nostalgiques, nous transportant vers les hauteurs d’un ciel complètement dégagé et tutoyant un instant les étoiles, grâce à la puissance de son rythme maurizio-esque. Comme si la dureté et la pesanteur de la réalité urbaine n’existait plus : la ville vue d’aussi haut, et qui plus est de nuit, paraîtrait presque belle. Pour autant il ne s’agit pas d’oublier non plus ce qui se passe en bas et le track ‘Grey Area’ de Subground_3000 est là pour nous le rappeler, et poursuivre le vol de nuit mais cette fois ci sur le dos d’un drone en rase motte qui sillonne incessamment les grands axes abandonnés comme les ruelles des banlieues désaffectées, traquant les zones grises où le moindre trafic pourrait discrètement prospérer. Le vent glacial se lève et face à la moindre résistance fait l’effet d’une gifle. Chaque pas résonne aux alentours comme s’il n’y avait plus que nous, seul témoin d’un moment suspendu où ni la ville ni le temps ne semblent n’avoir de début ni de fin, où seuls les éclairages urbains servent encore de maigres repères. Le track d’Hughes Giboulay nous invite à cette longue errance méditative dans le décors apparemment figé d’un Détroit nocturne où le flux des pensées, en plein milieu de la nuit, peut prendre un caractère abyssal. Dernière virée de ce road trip mental en quatre actes incroyables à travers un Détroit certainement fantasmé mais qui n’a jamais été aussi propice à l’imaginaire et à la deepness urbaine et classieuse comme seul le producteur allemand El Pierro (signant aussi sur BLC) sait en produire avec ‘Blossom’, track qui ne dépareillerait pas sur un label comme le Sistrum de Patrice Scott.

Pour sa sixième référence, le label français Frequency Shift a mis les petits plats dans les grands. Le fait d’avoir choisi Niko Marks comme maître de cérémonie a servi de catalyseur dans le choix d’une tracklist aux petits oignons comme il en a rarement été fait sur cette structure. Preuve qu’il s’agit là aussi d’un cap important franchit pour ce tout jeune et prometteur label. Ce second volet des Deep Tech Sessions est une nouvelle fois une réussite dans la cartographie fascinante qu’il dresse d’une motorcity by night, comme celle de nouveaux producteurs prêts à porter dignement le flambeau de cette musique. Les connexions de plus en plus nombreuses avec la maison mère BLC le laissaient supposer : Frequency Shift passe désormais à un stade supérieur et ceux qui pensaient ne plus rien avoir à découvrir dans le serail deep techno peuvent se jeter corps et âme sur ce various qui a tout du coup d’éclat dans la récente discographie de Frequency Shift. L’avenir désormais leur appartient.