On avait laissé le jeune label français Accents Records il y’a tout juste un an avec un des albums les plus fascinant et noir d’une année musicalement compliquée : Lioncage d’Evitceles. Depuis la structure s’est mise en pause, histoire de laisser passer la zone de turbulence qu’a été 2019 (sans imaginer évidemment qu’une autre lui succéderait cette année) et de prendre du recul après cinq ans d’activité fondés sur une ligne artistique et graphique irréprochable, tenant en grande partie du DIY, en faisant un des labels techno français les plus prometteurs actuellement. Un silence qui a surtout permis à son fondateur Sub Accent d’envisager l’avenir sous des aunes plus sereines et de rassembler toutes les énergies nécessaires en vue de la prochaine étape pour le label, attaché depuis ses débuts au support physique et après avoir longtemps favorisé le format K7, à savoir la sortie d’un premier e.p vinyle. Il faut dire qu’avec le niveau affiché des productions maison, qui commençaient doucement mais de plus en plus sûrement à pouvoir un jour fouler les dancefloors des festivals les plus recommandables, cette nouvelle, pour l’amateur de dance music exigeante, a tout d’une aubaine. Avec cette première référence sur cire noire et après un an d’absence, Accents a opté pour le changement dans la continuité en retrouvant un format qui lui convient bien (le various) et des artistes du cru ou presque, qui nouent tous une relation étroite avec le label et qui ont égrainé récemment quelques uns de ses récents jalons (on retrouve le roster habituel composé de Geïnst, de l’énigmatique Hydrangea et du maître de maison Sub Accent ainsi qu’un nouveau venu, l’italien PRG-M, exfiltré de chez Midgar). Cette dernière recrue marque vraiment le tournant pris par cette nouvelle sortie, perceptible dès l’artwork : le label y présente un visage désormais franchement solaire, hédoniste et tourné vers le sud. Ce n’est pas pour rien que le morceau qui ouvre le various est le très beau ‘Mistral’ de Geïnst, ode aux petits matins d’after et à la naissance recommencée du monde, déployant aussi bien l’allégresse d’une brise flirtant avec l’azur des ciels d’été que lorgner toujours plus profondément vers les richesses subaquatiques de la méditerranée.
Le label nous avait pourtant déjà habitué à explorer des territoires mélodiques et à travailler une palette de couleur plus chaude et lumineuse mais cela ne l’avait jamais été aussi explicitement. Les précédentes sorties n’avaient jamais non plus sonné aussi dansantes et efficaces. Car ici la décision du pressage vinyle se justifie pleinement tant Accents nous propose une deep techno soignée et rutilante, loin des poncifs lénifiants du genre, mais où surtout la musique coule naturellement et semble se moquer éperdument des questions de styles. La seule chose qui importe ici étant le plaisir des retrouvailles et donc par là même celui du danseur. La deepness possède d’infinies facettes et ce pas franchi vers les dancefloors les plus aguerris signifie aussi pour la structure un gain d’assurance et de maturité. C’est ce que l’on perçoit notamment à l’écoute du bien nommé Ritual Gift de Sub Accent. Là encore un morceau à la basse profonde et irrésistible qui sait estomper intelligemment les frontières d’une deep techno que l’on sent tendre vers la trance, sans putasseries aucunes, et surtout vers l’hypnose de la danse comme savent si bien le faire les producteurs et dj techno italiens. Le genre de morceau qui siérait parfaitement en plein peaktime du Paralel Festival.
Conservant ses principales influences d’une techno largement panthéiste comme on peut l’entendre au nord de l’Europe chez Hypnus et consorts, Accents s’ouvre avec cette sortie à un monde d’avantage tourné vers l’Orient, en accueillant le morceau Guangzhou de la trop peu exposée Hydrangea. Composé en Chine, bien avant ce que nous connaissons aujourd’hui, ce morceau fait écho malheureusement ou pas à la place qu’a eu et qu’aura désormais cette partie du monde dans nos vies. Un track plus lent et contemplatif, parcouru de volutes acid qui viennent effleurer délicatement les nuages stratosphériques, comme un lointain écho des premières productions de Solar Quest, le temps d’un moment suspendu où tout est en train de se jouer. Le calme avant la tempête. Car sur ce fil précaire où on sent à chaque instant que tout pourrait basculer, et malgré la couleur estivale de cette sortie, Accents n’en oublie pas les événements qui secouent actuellement la planète dont l’avenir est précipité par l’activité humaine. ‘Plumbeo’ de PRG-M, qui conclut admirablement ce various, nous ramène à cette réalité, dévalant comme autant de coulées de lave en fusion prêtes à tout engloutir sur leur passage, mêlant aux couleurs pastelles présentes le contraste de tonalités beaucoup plus acres. On pense évidemment aux productions d’un Donnato Dozzy énervé ou d’un Peter Van Der Hoesen pour les lacérations qui arrivent en rase motte pour meurtrir le sol carbonisé mais la puissance tellurique de ce morceau doit surtout à sa production massive et implacable, une véritable invitation à danser sous les bombes, faisant monter très rapidement le taux d’adrénaline et la température des pistes de danse. Du très très sérieux.
Après une année d’absence, cette première et courageuse sortie vinyle sonne pour Accents records comme une saine confirmation, celle d’un label indépendant qui semble prendre un nouvel envol et avec lequel il faudra plus que jamais compter dans le paysage techno français et international. Il y dessine même une nouvelle cartographie musicale et sensible, intime autant que cosmique, où tous les éléments de notre monde contemporain sont convoqués, élargissant les frontières de la deep techno à la tech-house et à la trance. Ravivant les souvenirs des fêtes libres et de communion avec la nature, cette dernière livraison très inspirée redonnerait presque espoir en une musique et un mouvement qui ont perdu de leur âme et de leur esprit fédérateur ces dix dernières années. Et dans le sérail deep techno, Accents se présente même comme un antidote indiqué aux productions stériles de chez Edit Select. Vous l’aurez donc compris l’essai du passage au vinyle a été transformé avec brio et ce various ne demande plus que vos platines et un bon sound system pour trouver définitivement une place de choix dans votre collection.