Token, Ante Rasa, Norite, Tangram, Zwaarte Kracht, Vlek, Entrepôt, Meakusma.. même si l’âge d’or de labels comme R&S semble désormais révolu, bien que ce dernier soit toujours actif, on ne dénombre plus en Belgique les structures indépendantes et recommandables qui présentent désormais une relève sérieuse en marge de l’histoire initiée et que tente de perpétuer la mythique écurie de Renaat Vandepapeliere. A cette nouvelle scène peut désormais s’ajouter le tout jeune label bruxellois Basic Moves. Principalement orientée vers une techno purement analogique, imprégnée jusqu’à la moelle par le son de Détroit, notamment celui de Carl Craig circa 69 ou BFC, faisant la part belle à la scène locale (Walrus, Circadian Rhythms, Caustic 14), la structure a décidé, après quatre années d’existence, de créer sa subdivision chill-out nommée Gems under the horizon. Avec un tel nom il était fort à parier que pour sa première référence celle-ci poursuivrait avec encore plus d’acuité la politique de la maison mère : défricher dans ses moindres recoins la scène électronique locale avec un split e.p regroupant deux producteurs belges extrêmement confidentiels, Bernard Zwidjzen aka Sonmi451, producteur ambient et paysagiste sonore, tel qu’on aurait pu en trouver à l’époque bénie de feu Type records, ayant signé notamment sur Time Released Sound, Eilean ou plus récemment encore Astral Industries, et Thomas Hayes aka Dylan Thomas Hayes, jeune producteur techno repéré sur le premier various du label Form and Function, qui a tout de l’Antigone ou du Zadig belge et qui n’a de fait pas moins d’attrait pour la chose ambient que nombre de ses contemporains (notre homme est semble-t-il un grand admirateur de Tetsu Inoue). Pour autant, ce qui relie ces deux artistes se situe moins sur le terrain musical que celui de la littérature, qui a motivé la composition de ces deux pièces oniriques et intrigantes.
Sonmi451 est le nom du personnage de la fable dystopique de David Mitchell ‘Cloud Atlas’. Cette dernière prend place dans une Corée devenue complètement totalitaire et verrouillée de toute part, où la moindre velléité humaine est supplantée par des clones cyborg. La pièce ‘Up Goes The Green Flare’, initialement publiée en 2006 sur l’album ‘A phosphorous spot’, fait quant à elle référence aux flashs de lumières envoyés dans le ciel pendant la seconde guerre mondiale pour aider les bombardiers à se repérer dans la nuit. Face à ce tableau noir et anxiogène, le morceau est lui au contraire d’une douceur cotonneuse, flottant un peu au-delà de la couche nuageuse. Entre les volutes jazz qui percent par instants à travers la brume, les bribes de voix qui viennent nous susurrer à l’oreille quelques mots fugaces avant de disparaître emportées par les tourbillons d’un ressac incessant, tout dans ce morceau est en suspension et nous met dans un état de rêve éveillé. Un rêve qui n’est pas sans rappeler les productions ambient du duo anglais Isan et cette manière de plonger l’auditeur dans un bain vaporeux, un rien hypnotique, où même les blips ont des vertus apaisantes.
Le morceau de Dylan Thomas Hayes poursuit dans la même lignée le voyage au bout de la nuit initié précédemment par son compatriote, comme si les deux tracks, symétriquement, ne formaient qu’une seule et même image. ‘Where the light begins’ est une longue errance sous une pluie battante et une nuit anthracite, rythmée par un flot de plus en plus insondable de clochettes et de carillons asiatiques, marquant chaque pas comme un mantra implorant l’aube de se lever. La confrontation du field recording et de la composition acoustique, à peine teintée d’électronique, rend la scène extrêmement visuelle et envoûtante. Peut être faut-il ici d’avantage laisser la poésie plutôt que la musique opérer. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le jeune producteur tient son nom de scène d’un des poètes anglais les plus influents de la première moitié du vingtième siècle, Dylan Marlais Thomas dont l’œuvre fut des plus prolifiques durant la seconde guerre mondiale. Les résonances avec la création de Sonmi451 ne s’arrêtent évidemment pas à ces références littéraires communes, tant la quête d’un échappatoire au réel y est omniprésente, elle est aussi un passage de relais, un dialogue en filigrane entre deux générations de producteurs.
Avec cette première référence en forme d’invitation à la rêverie, la subdivision chill out du label Basic Moves a entièrement gagné son pari qui sur le papier était très loin d’être assuré d’avance. Non seulement Gems under the horizon y met en lumière deux talents sous-estimés de la scène électronique belge, en terme de composition comme de storytelling, mais parvient surtout à les articuler avec brio et simplicité, comme si la connexion entre les deux artistes était une évidence à laquelle pourtant personne auparavant n’avait jamais pensé. Une relation souterraine qui rappelle celle que nouaient sous l’occupation nazie les passeurs de livres clandestins. On connaît l’attrait belge pour tout ce qui touche à l’inconscient et au surréalisme, au domaine du rêve justement, et ces deux compositions juxtaposées sont un jeu d’équilibrisme extrêmement subtile, un théâtre d’ombres délicat qui vous effleure pour mieux laisser transparaître en creux une réalité qui peut à tout moment virer au cauchemar. Alors en attendant le moment où la lumière du jour poindra de nouveau, on se laisse bercer par ces comptines mystérieuses, ces récits de mondes flottants, de présences diaphanes d’outre-rêves, pour mieux scruter ce qui se passe sous l’horizon.