Franz Kirmann vient tout juste de sortir son troisième album solo pour l’excellent label Denovali. Membre du groupe Piano Interrupted, musicien prolifique qui travaille entre autres pour des films ou documentaires, nous vous invitons à aller écouter Elysian Park, et vous proposons de découvrir un peu qui se cache derrière cet artiste qui vit à Londres avec cette interview et ce mix. Il en a aussi profité pour revisiter un peu sa discographie avec nous en quelques morceaux !
Tu as fait quoi ces derniers temps ?
Si je ne suis pas en train d’upgrade des logiciels, je travaille sur quelques projets commerciaux et du nouveau matériel pour Piano Interrupted.
J’ai aussi des collaborations en cours, et le groupe Days Of Being Wild, mon projet club avec Sam Berdah. C’est un show avec des machines en live, pas d’ordinateur. L’opposé d’Elysian Park.
Tu sembles être très productif, avec de nombreux projets solo ou pas, et même du travail pour des films/documentaires. Tu as un jour parlé de l’importance de la curiosité. Pas plus tard qu’hier je parlais avec un producteur qui m’expliquait que composer de la musique lui a fait arrêter d’en écouter. Quelqu’un qui désormais va juste sur Spotify pour lancer une playlist hip hop dans le métro. As-tu encore l’énergie et le temps d’écouter et de chercher de la musique ? Est-ce que tu as des hobbies ou d’autres projets en dehors ?
Hmm… Je sais ce qu’il ressent. Mais pour moi c’est plutôt que je me sens surchargé par la quantité de musique qui sort ! Et honnêtement il n’y a pas grand chose qui me surprend. Je cherche moins avidement qu’auparavant, j’ai moins de temps, je voyage plus aussi, j’ai des enfants et beaucoup de projets en cours. Mais ce que j’entendais par être curieux, c’est être curieux à propos de la vie, des gens, des autres formes d’art etc… Pour la musique je compte sur quelques amis, des DJs (Vladimir Ivkovic, Ivan Smagghe, Brian Not Brian de Going Good Records qui était mon gars lorsqu’il travaillait pour Phonica) et quelques blogs qui ont ma confiance.
As-tu eu une approche spécifique, ou un concept pour ce nouvel album ?
Oui, les deux en fait. Je pense que l’un a nourri l’autre inconsciemment. Je savais que je voulais m’affranchir de mes méthodes traditionnelles, de la méthode linéaire et séquentielle. Je voulais quelque chose de plus abstrait. Je ne savais juste pas comment. Je ne voulais pas non plus traiter les mélodies et thèmes. J’étais intéressé par les textures et quelque chose de plus sculptural. J’ai donc expérimenté avec le sampling et le procédé granulaire. Au même moment j’ai retrouvé ces trois morceaux réalisés pour le studio Zeitguised. J’ai beaucoup aimé ces morceaux à cause de leurs textures sculpturales et un certain sens de l’espace. C’est drôle comment parfois tout s’imbrique. Je relisais La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq au même moment. Cette vision morne de l’humanité a commencé à saigner sur la façon dont je vois la société et comment la musique peut le refléter. Au même moment je me suis retrouvé à écouter Resonance FM ou Classic FM dans ma voiture avec un très mauvais son, et d’autres stations par dessus avec des histoires sur la crise financière ou les attaques terroristes et les publicités superposées. Tout cela s’est mélangé dans mon cerveau et j’en ai créé Elysian Park.
C’est quoi la prochaine étape après cet album ?
Avec Tom (mon partenaire de Piano Interrupted), nous avons commencé à travailler sur de nouvelles idées. Quelques-unes pour le documentaire dont nous faisons la musique, d’autres pour un possible album. Je me prépare aussi pour le live avec Days Of Being Wild, nous venons de recevoir quelques soutiens régionaux en France pour développer le projet. Quelques dates aussi, à Berlin, Metz, Latvia avec Piano Interrupted, et des shows pour la sortie d’Elysian park à Hambourg le 10 décembre et Berlin le 11.
Tracklist IS Special 21 :
Franz Kirmann – Flying Over You (unreleased)
Autechre – See on see (Warp)
HTRK – Bending (Mistletone Records)
New Dreams Ltd. – Timecop (PrismCorp)
Actress – Rap (Werk Discs / Ninja Tune)
Franz Kirmann – Wasteland Condo (Denovali)
Koudlam – Transperu (Pan European Recording)
Autechre – VLetrmx (Warp)
Philip Jeck – Pax (Touch)
Pan American – Glass Room At The Airport (Kranky)
Jónsi & Alex – Indian Summer (Parlophone)
Discographie revisitée :
Lexi
Tiré de Random Access Memories, mon premier album sorti en 2010. Je ne regarde pas vraiment en arrière lorsqu’il s’agit de mon travail, mais j’aime toujours beaucoup Lexi. À l’époque je voulais jouer avec l’idée que la musique électronique pourrait… ne pas paraître électronique dans un sens. J’essayais de sonner comme Mogwai. Je me souviens de gens qui demandaient qui était aux percussions sur ce morceau, donc je suppose que je n’ai pas totalement raté mon coup ! Je chante aussi, quelque chose que je fais rarement.
Piano Interrupted – Hobi
Après Random Access Memories, mon travail avec le pianiste/compositeur Tom Hodge est devenu central. En particulier lorsque nous avons commencé à collaborer avec Denovali Records. Au début nous plaisantions sur le fait qu’il était le pianiste et moi l’interrupteur et le titre Piano Interrupted est venu de là. Hobi est sur notre premier album Two By Four et il a été longtemps notre favori en live. Celui qu’on joue toujours à la fin d’un concert. Tout a beaucoup changé car notre musique va dans différentes directions à présent. À l’origine Hobi a été composé pour un documentaire à propos du chanteur tunisien Hédi Jouini. Un homme mort au début des années 90 mais qui est demeuré une légende là-bas. Ils l’appellent Papa ou oncle Hédi. Au début la boucle de drum est samplée d’un de ses morceaux des années 60. L’équipe du film produit en ce moment un autre film à propos de sa vie et nous nous occupons de nouveau de la bande originale, nous avons donc commencé à revisiter Hobi pour ce film.
He watched as she disappeared into the crowd
Tiré de mon deuxième album, Meridians. C’est un album avec lequel j’ai une relation troublée. Après Random Access Memories, j’ai écrit une sorte de manifeste, des règles pour le travail suivant. C’était une proposition assez négative, anti beauté, anti structure, anti mélodie. Tout cela ensemble a donné une déclaration artistique violente d’où je voulais aller avec la musique. Meridians, c’est un peu moi qui n’ose pas suivre cette déclaration! J’ai choisi de rester dans ma zone de confort. Ce n’est pas grave, je n’étais simplement pas prêt. Elysian Park de ce côté est beaucoup plus proche de ce manifeste. Je pense que Meridians est un album de transition, il nage dans les mêmes eaux mélancoliques et les ciels automnals de Random Access Memories. Mais il est peut-être un peu plus chaud tout en étant plus mélancolique. Ce morceau en particulier était un des derniers produits et probablement la musique la plus triste jamais créée par mes mains. C’est un peu comme une tentative vaine d’arrêter le temps qui passe, une version musicale d’une séquence de Wong Kar Wai.
Piano Interrupted – Abdou Kadre
Extrait de Landscapes Of The Unfinished, le troisième album de Piano Interrupted enregistré partiellement au Sénégal où j’ai grandi. C’était une très belle expérience de faire ce disque, de voyager jusqu’en Afrique de l’ouest et de travailler avec des musiciens locaux. Il y avait une véritable chaleur et joie de travailler là-bas. Comment avons-nous pu terminer avec un disque si introspectif ? Je ne sais pas. C’était l’hive à Londres à notre retour et c’est peut-être la raison pourquoi.
Créé avec le trio Piano Interrupted (Tim Fairhall à la contrebasse). C’est un musicien extraordinaire qui apporte beaucoup à la musique. C’est pour cette raison que cela sonne différemment des deux autres albums. Nous avons remplacé le violon par la clarinette et la contrebasse a un rôle plus actif. Nous avions vraiment essayé de nous réinventer et vers la fin, lorsque j’ai écouté les compositions finies, j’ai réalisé que c’était de nouveau un disque très Piano Interrupted. C’est très différent des deux autres, mais spirituellement c’est vraiment nous ! On ne peut pas s’échapper de soi-même.
Tears In Your Eyes
Tiré de mon nouvel album, Elysian Park, ce morceau arrive vers la fin du disque, dans sa partie la plus optimiste… lorsque l’humanité gagne… Avec Elysian Park, pour la première fois j’ai réussi à déformer my tendances naturelles et faire quelque chose d’une certaine façon plus grande que moi. Quelque chose que je ne comprends pas totalement. C’est presque un album concept, même si je n’aime pas du tout ce terme.
Peu après avoir terminé Meridians, je suis tombé sur trois pièces que j’avais fait pour une installation artistique pour le studio allemand Zeitguised. J’ai été frappé par la personnalité de ces morceaux, ils sonnaient comme quelque chose que je n’avais jamais fait avant et bizarrement j’en avais oublié leurs existences. Les redécouvrir m’a permis de refléter ce que je cherchais dans mon travail, ce manifeste dont j’ai parlé, une verticalité dans la musique, une immobilité, l’abandon des structures, des harmonies, des mélodies. Une “im”musique. Quelque chose de textural, atmosphérique et environnemental.
Je ne voulais pas que l’album possède une identité sonique, c’est un peu comme une maison faite de matériaux récupérés. Il n’y a pas de son distinct, c’est un peu industriel, un peu new age, un peu calme, un peu dur. C’est un album en conflit.
We revisited Franz Kirmann’s discography with a few tracks he selected for us. The artist based in London just released Elysian Park, an amazing new LP on Denovali. We managed to ask him a few questions and he kindly delivered for us this amazing mix.
What have you been up to lately?
When I’m not upgrading software, I’m working on a couple of commercial projects and some new Piano Interrupted material.
I have also a couple of other collaborations on the go, and the Days Of Being Wild live band, which is my club project with Sam Berdah, an all analog machines and no computer live show. The opposite of Elysian Park.
You seem to be quite productive, doing various projects solo or not, and even working for documentaries/films. You mentioned once how important it is to be curious. I was talking with a producer yesterday who was telling me how making a lot of music actually made him stop listening to any of it, so now he just goes on Spotify and listens to hip hop playlists when he’s in the subway. Do you still have time and energy to look for new music? What about other hobbies?
Hum…I know what he means. But to me it’s more that I feel overloaded by the amount of new music! And not much of it rocks my boat to be honest. I’m not as avidly looking for new music like I used to. I don’t have as much time, I travel more now, I have kids and lots of projects on the go, but what I meant by being curious, was curious about life, people, other art forms etc… For music I rely on a couple of friends, a couple of Djs (Vladimir Ivkovic, Ivan Smagghe, Brian Not Brian from Going Good Records used to be my man when he worked at Phonica) and some trusted blogs.
Did you have a specific concept, a particular approach for the new LP?
Yes, both actually. I think one fed the other subconsciously. I knew I wanted to break away from my traditional ways of making music, the linear, sequencing way. I wanted to do something more abstract. I just didn’t know how. And I didn’t want to deal with melodies and themes, I was interested in textures and something sculptural. So I experimented with sampling and granular processing and at the same time I had re-discovered these three pieces I had done for Berlin based studio Zeitguised. I really liked them a lot because of their sculptural textures and their sense of space. It’s funny how things fall into place. All that tied up with other things. I was reading ‘The Possibility Of An Island’, the Michel Houellebecq novel, well re-reading it in fact. And his bleak vision of humanity somehow started to bleed on the way I looked at society, and how music can reflect that. At the same time my car radio was playing up and I found myself listening to Resonance FM, or Classic Fm but with really bad fuzz over it, and other stations overlapping, bits of news about financial crisis or terrorist attacks, or stupid radio advertising spilling over from other frequencies. All that mixed up in my brain and I came up with ‘Elysian Park’.
What are you working on at the moment, what can we expect after the release of the album?
Tom (Hodge who I do Piano Interrupted with) and I have started on some new ideas. Some are for a documentary we are doing the music for and some are for a possible new album. I’m also gearing up for the Days Of Being Wild live band, we just received some regional support in France to develop the project. And some gigs, a few Piano Interrupted dates in Berlin, Metz and Latvia, as well as solo live shows to support Elysian Park, in Hamburg on December 10th and Berlin on the 11th.
Tracklist IS Special 21:
Franz Kirmann – Flying Over You (unreleased)
Autechre – See on see (Warp)
HTRK – Bending (Mistletone Records)
New Dreams Ltd. – Timecop (PrismCorp)
Actress – Rap (Werk Discs / Ninja Tune)
Franz Kirmann – Wasteland Condo (Denovali)
Koudlam – Transperu (Pan European Recording)
Autechre – VLetrmx (Warp)
Philip Jeck – Pax (Touch)
Pan American – Glass Room At The Airport (Kranky)
Jónsi & Alex – Indian Summer (Parlophone)
Selected Tracks, Franz Kirmann’s discography:
Lexi
This is from my first album, Random Access Memories, released in 2010. I don’t tend to look back on my own work much, but I still really like Lexi. At the time I wanted to play with the idea that electronic music could sound… not electronic in a way. I was trying to sound like a Mogwai. I remember people asking me who’s the drummer on that track, so I guess I didn’t totally fail! I also sing on there which I rarely do.
Piano Interrupted – Hobi
After Random Access Memories, my work with pianist and composer Tom Hodge took central stage as we started working with Denovali Records. When Tom and I started making music together we joked about him being the pianist and me the interruptor and the name Piano Interrupted kind of came out of that. Hobi is on our first album “Two By Four” and for a long time it was a live favourite of ours. You know the track you always play at the end of the gig. It’s changed quite a lot since that recorded version as we tend to take our music into different directions when we play it live.
We originally wrote Hobi for a TV documentary about Tunisian singer / songwriter Hédi Jouini. The man died in the early 90’s but remained a legend over there, they call him Papa or uncle Hédi.
The beginning drum loop is sampled from one of his song from the 60’s. The team behind the film is now producing a feature length story around his life and we are scoring it as well, so we have started revisiting Hobi for that film. I’m very fond of that track, I like the dusty driving drum and the ghostly cluster chords Tom came up with. Also we worked with cello and percussion then so there is this warm lyrical charm to the music.
He watched as she disappeared into the crowd
This is from my second album, Meridians. It’s an album I have a troubled relationship with.
After Random Access Memories was released, I wrote down some kind of manifesto, a sort of set of rules for the next thing I was going to do. And it was quite a negative proposition, an anti beauty, anti structure, anti melody and an all together quite violent artistic statement of where I wanted to go with the music. And Meridians is actually me not daring doing it! And staying in the comfort zone instead. Which is ok! I suppose I wasn’t ready.
In that respect Elysian Park is much closer to that manifesto.
I think Meridians was sort of a transition album, it swims in the same waters of melancholia and autumn skies as Random Access Memories but it’s perhaps a bit warmer sounding despite being more melancholic. That particular piece « He watched as she disappeared into the crowd” was one of the last one I produced for the album and probably one of the saddest piece of music I have ever made. It’s like my vain attempt at stopping time from passing by, like a musical version of a Wong Kar Wai sequence.
Piano Interrupted – Abdou Kadre
This is taken from Piano Interrupted 3rd album “Landscapes Of The Unfinished” that we partially recorded in Senegal, where I grew up. It was such a nice experience to make that record, to travel back to West Africa and to work with local musicians. There was a real warmth and joy working there. I mean why on earth did we end up with such an introspective record!? I don’t know. It was winter in London when we came back so maybe that’s why.
This record was made with Piano Interrupted trio, with Tim Fairhall on double bass. He’s an extraordinary musician and brings a lot to the music and process. In that respect it’s also a different sound from the first two albums, we replaced the cello with clarinet and the double bass has perhaps a more active role. We were really trying to reinvent ourselves and by the end of the process, when I listened back to the finished compositions I realised we had made a Piano Interrupted record again. I mean it’s very different from the first two, but spiritually it’s totally us! You can’t run away from yourself.
Tears In Your Eyes
This is from my new LP, Elysian Park, it comes towards the end of the record, the more hopeful part of the album… when humanity wins… With Elysian Park, for the first time, I managed to twist my natural tendencies and to do something that is somehow bigger than me. Something I don’t totally understand. It’s almost a concept album, although I really dislike that term.
But basically shortly after I had finished Meridians I came across these 3 pieces I had done for an art installation by German graphic studio Zeitguised. And I was struck by how much personality those tracks had, they sounded like nothing I had done before but weirdly I had forgotten about them. So rediscovering them, I could see how much they reflected what I was looking for in my work, that manifesto I was talking about, a sense of verticality in the music, of stillness, the abandon of structure, of harmonies, of melodies. Non music. Something textural, atmospheric and environmental.
I didn’t want the album to have too much of a sonic identity, it’s like a house made of recuperated materials. It has no distinct sound, some of it is industrial, some of it is new age, some of it is quiet, some of it is very harsh. It’s a very conflicted album.