Récit d’une rencontre.

Fin d’après-midi maussade sur Paris et belle soirée en perspective. Entre deux, j’ai rendez-vous avec Didier Allyne dans un café jonchant la place de la République.

Un océan se distille au compte-goutte sur la ville lumière tandis que j’aperçois la silhouette éclairée de Didier qui m’accueille avec un grand sourire malgré le retard qui me colle à la peau plus qu’un chewing-gum ne saurait s’offrir aux striures d’une semelle par grand soleil – pas aujourd’hui…

[ Un coca & un demi ]

Didier remonte jusqu’en 1996 pour évoquer ses premiers pas dans le milieu de la musique. Il œuvre alors en tant qu’acheteur & vendeur pour Club News puis s’est naturellement orienté vers la création de sa propre enseigne en 1998, année où Trafic Records a vu le jour. A l’époque, il propose une sélection affinée de house à techno en passant par le hip hop, la soul & le funk tout en conservant ses racines jazz.

En remuant les eaux du passé, il se rappelle de cette période où le travail du disquaire relevait d’un croisement entre la spéléologie psycho-acoustique et la voyance… téléphonique. Amusé, il revient sur une facette anecdotique du digging à grande échelle, à une décennie d’intervalle dans le fond et à des années lumières dans la forme :

« Avant l’arrivée d’internet, on travaillait déjà beaucoup à distance, mais avec les moyens d’époque… On recevait les listes de releases par fax [rires] avec titres, artistes, et références de chaque disque. D’ailleurs à l’époque on ne parlait que comme ça « t’as écouté le F017 ?. » On citait jamais l’artiste, c’était plutôt le label qui était valorisé.
Toujours est-il qu’on cochait les références qui nous intéressaient et on renvoyait la liste annotée au responsable export. Le type nous passait un coup de fil puis nous faisait écouter la sélection par téléphone.
On était contraint de commander de grandes quantités pour pouvoir rentrer dans nos frais, sans vraiment savoir si on allait écouler les stocks. De manière générale, c’est un métier dans lequel t’es tenu de prendre des risques et à un moment ou à un autre, t’es obligé de te prendre un mur. L’important reste d’avoir des convictions, d’y croire et d’apprendre de ses erreurs, c’est comme pour tout.. »

Les plus belles découvertes restent toutefois le fruit de voyages et d’expéditions. Allyne l’avait bien compris et a multiplié les excursions outre-manche & atlantique à la recherche de trésors à consommer, mais surtout à partager. C’est comme ça qu’ il est revenu d’Angleterre avec 150 copies du premier opus de Matthew Herbert sur Phono, Part One.

Optique, Flaire Auriculaire…

Actuellement à la tête de Syncrophone, Didier fait parti des aficionados du vinyle qui n’en ont jamais envisagé l’extinction, tant pour l’objet que pour l’émotion qui l’entoure.

« Le vinyle n’a pas toujours eu la cote. On a connu une grosse récession à l’arrivée du digital. C’est vrai qu’actuellement, c’est un support qui se porte plutôt bien et notre clientèle se renouvelle pas mal au fil des années. D’ailleurs je t’avoue que je suis assez admiratif dans le sens où ça me fait plaisir de voir des clients de plus en plus jeunes qui s’intéressent d’une part à notre sélection et qui ne jurent à nouveau, que par le vinyle. Après, j’espère que ce n’est pas un simple effet de mode… »

[ La petite sœur ]

Après quelques minutes de débat socio-phylosophique de terrasse plus que de comptoir, on en déduit plutôt un retour aux sources, sous tout point de vue. Une recherche de qualité perdue, abandonnée au fil du temps, sorte de contre coup à l’éphémère « made in China ».

« Si tu regardes dix ans en arrière, la plupart des gens misaient sur le numérique qui offrait des formats de plus en plus compacts. Il faut dire que la promesse digitale était assez tentante. C’était aussi la possibilité de s’affranchir des contraintes de poids, d’espace mais tout cela au détriment de la qualité. Tu ne retrouveras pas la rondeur et la chaleur d’un son pressé sur vinyle, en MP3…et puis c’est un objet tangible par dessous tout ; quelque chose que tu peux conserver dans le temps, comme un bouquin, c’est une œuvre à part entière. »

A propos de Syncrophone…

Syncrophone est une sorte de trinité éponymique composée du Shop, de la Distrib et du Label Mère. Inter-connectées, tant dans la dénomination que dans le fonctionnement, les trois facettes revêtues par l’enseigne en font une entité complètement autonome.

Syncrophone – Records Shop – dont l’indépendance fût déclarée en 2008, est orchestré par Didier Allyne et John Sill, son binôme, tous deux aux commandes de la distribution et du label tandis que Blaise assure la vente et le soin de la clientèle en front office. Favorisant l’aspect proximité du disquaire, Didier a pris le parti jusqu’ici de vendre exclusivement en boutique pour conserver au maximum le rapport humain. Il n’exclut toutefois pas le fait qu’un e-shop puisse sous peu, voir le jour, par nécessité plus que par volonté…

« Le rôle du disquaire est basé sur le conseil et le partage. Quand tu as une clientèle fidèle, tu te dois de la connaître afin de l’orienter. Ce n’est pas un travail de « commercial » à proprement parler. Le but reste de tirer musicalement les gens vers le haut et non pas de vendre en quantité industrielle. Bien sûr je passe beaucoup moins de temps en boutique maintenant mais Blaise assure à ce niveau là ! »

Principalement représentatif de la musique de Détroit, Syncrophone – Recordings – se distingue de ses sous-divisions, notamment Phonogramme, plus axée sur la house locale voire familiale..Plus récemment, une petite nouvelle donc future grande, est née : For those who know. Affaire à suivre de près.

On en vient rapidement à parler du SYNCRO01, le double EP qui en quelque sorte, a marqué le lancement du label…Petit flasback sur la génèse Syncrophone Recordings.

Musique contextuelle recommandée

A. Theo Parrish – Falling Up (Original version)
B. Theo Parrish – Falling Up (Chateau Flight rmx)
C. Theo Parrish – Falling Up (Carl Craig rmx)
D. Theo Parrish – Falling Up (Chateau Flight Dub

Didier a lancé Syncrophone Distribution en 2005 au sein même de Cyber Productions dans l’optique de proposer des disques jusqu’alors, introuvables en France. L’histoire du label remonte à la deuxième partie des années 2000, faisant suite logique au développement du pôle distribution via lequel il importe et exporte à tout de bras…jusqu’au jour où…

« J’avais reçu la promo sur Third Ear avec le remix de Falling up par Carl Craig. Syncrophone était lancé, on importait énormément de tous les pays dont l’Angleterre où un bootleg avait été pressé. Par la force des choses, le label manager de Third Ear m’a contacté car plusieurs magasins l’avaient reçu via différents distributeurs, et l’un d’eux nous a cité.

En fait, l’histoire du Falling Up est partie de là car je lui ai proposé de licencier la version originale de Théo Parrish avec le remix de Carl Craig ainsi que de nouveaux remixes de Chateau Flight pour en faire un double pack (SYNCRO01). Sachant que nous avions les droits du maxi, Charles de Technasia nous a proposé un remix (SYNCRO00) sorti sur Syncro, fin 2006 . Et c’est vraiment là-dessus que le label a émergé. »

Allyne semble entretenir un rapport d’égal à égal avec son environnement bien qu’au final, ce microcosme s’apparente plutôt à une grande bande de potes qu’à des relations professionnelles.
Qu’il s’agisse de Phil Weeks, boss du fumeux label Robsoul, avec qui il a lancé P&D en 2007 ; de Zadig qui bossait au « matos » à la boutique avant de présenter ses premières prods à Didier avec qui il a par la suite collaboré…ou encore de S3A, Professor Inc et John Jastszebski pour ne citer qu’eux, sont tous passés derrière les platines aux côtés d’Allyne, comme à la presse.

Didier tient une bonne part de responsabilité dans l’embrasement de la scène locale bien qu’il en réfère humblement à un fonctionnement cyclique observé au fil du temps :

« Les flux sont relativement périodiques quand on y réfléchit, ça tourne à peu près tous les 20 ans. Ça monte en pic pendant une décennie et ça retombe graduellement celle d’après. On verra bien ce que nous réservent les années à venir. »
Témoin actif de cette évolution, Allyne tient des propos similaires à ceux que nous avaient accordés Jeff Mills lors d’une conférence : « There are decades where people say and there are decades where people do » suite à une question posée quant à l’effervescence de la scène Parisienne.

[ L’addition ]

L’heure du dîner approche et Didier a promis un MacDo au fiston m’assurant qu’il est possible de conjuguer vie familiale, travail & loisirs, même pour les noctambules…

Soundcloud Didier Allyne
Soundcloud Syncrophone
Soundcloud Phonogramme