In Aeternam Vale, alias Laurent Prot, activiste sonore depuis 1983.
Le personnage est un cas à part, son style musical très personnel et résolument électronique pouvant évoquer la darkwave, la techno, comme l’EBM. Une palette assez large des genres apparus ses 30 dernières années. Mais aussi son autre activité professionnelle qui l’amène à manipuler la commande d’une cuve de produits mutagènes dans des sous terrains tropicaux.

Qui plus est, il est le seul que je connaisse à brandir comme une hallebarde son système modulaire dégoulinant de câbles lors de ses lives abrasifs !
Le socle est posé : Laurent a, depuis bien longtemps, suffisamment de matière première pour faire frémir la sphère musique électronique et lâcher un triple LP sur le label Parisien Dement3d.

L’album commence par Clobenzorex, 13 minutes de gimmicks sournois où des aigus et snares prédominent sur une rythmique stable. Soundscape V et Feed Me ralentissent le rythme et nous amènent dans un espace maladif de noise low fi où les modulations se tordent comme un diaphragme sous tension. B s’étend sur 12 minutes ; Laurent aime faire durer la tension et le plaisir (aussi bien que lors de ses lives) avec des lignes acides qui vont de haut en bas. à l’écoute, les phases ascendantes et descendantes s’avèrent très présentes : après la tension dance-floor de B, on retrouve un râle où la mélodie en arrière-plan fait penser à une pop triste et romantique, saturée et recouverte par des nappes tout aussi lentes mais bien plus acérées.

La suite sonne comme une preuve de créativité et de maîtrise, on vire dans l’IDM et l’abstract via Soundscape II et 181 mais toujours avec des aigus vicelards, quelques chuintements et des coups de basses. Congestion Cosh me surprend encore plus. On rentre dans les délires Rephlex et les débuts de Warp avec un souffle et une lueur fantomatique qui semble traverser un couloir. Le résultat est pour moi très visualisable à cause des micro-basses, ce souffle presque inaudible et encore ces montés aiguës qui me font penser à la scène « Plastic Bag » du film American Beauty. Un vent, le souffle, l’invisible apparaît comme une présence angoissante et sans contour. C’est ce vent qui nous lâche au final dans un terrain vide et chargé de fumée : Soundscape I et Hole sont remplis de bruits blancs, de ce souffle mystique parfois tranché par une corne de brume dans sa version futuriste et teintés par des cliquetis et autres croassements synthétiques et organiques. Un cours d’eau n’est pas loin mais reste invisible.

Hole reprend le rôle de la boucle malveillante de 19 minutes ; on se rapproche là d’un plan fixe d’un film de Carpenter où la tension est plus que palpable. Les basses mêlées aux fragments de field recordings me font penser aux collages de Demdike Stare, en plus lents, moins breakés mais tout aussi denses et riches en terme d’ethnicité sonore. J’entends par là que j’ai le sentiment de naviguer entre les côtes écharpées écossaises et les forêts luxuriantes qui bordent les temples shintoïste de l’Asie. Autour du Signal rompt directement avec le morceau précédent avec des kicks lents en stacato. Un râle se tord à travers les craquements, j’ai du mal à me situer entre les souffles, ces loops dans une veine un peu dub mais moins basées sur le kick et la basse. Mon hochement de tête s’avère étrangement plus lié à ce bruit de papier qui se déchire plutôt qu’à la basse qui tourne. Plus l’écoute avance moins j’arrive à voir ou entendre là où on me mène. Le morceau suivant 176 en est le parfait exemple : la surprise du beat acide qui grésille avec très peu de basse mais cumulé avec divers patterns un peu 8 bits à la Unit Moebius qui clignotent comme un strobe à mi régime.

Autre morceau Soundscape (IV) avec ici 3 minutes de souffle et une très légère mélodie au loin qui sonne comme le chant d’un Muezzin. Les drones s’avèrent à mon goût dans la même veine que 176. Cette ambiance chargée en électricité et en tension qui pourrait être un fil rouge pour cet album. La texture électrique étant constamment présente à divers degrés sur cet LP, parfois plus réchauffante mais majoritairement sinueuse, non palpable et translucide et ce, surtout dans la série Soundscape. Les rifts s’enchaînent comme l’onde, un écho d’une taille hors norme et terrifiant s’ajoute pour s’évanouir sur une ligne d’acide et de larsen. Soundscape III, dernier de la série, change significativement des autres : un vocoder en piteux état nous accueille avec des oscillations toujours aussi aiguës et malveillantes. Dernier morceau : La Pluie, un morceau dans un délire similaire que celui du même nom des Béruriers Noirs mais avec un penchant pour le non narratif et la contemplation. La présence de la voix sonne comme une belle manière de finir son propos : l’ajout de derniers éléments qui ne sont pas déjà présents dans tous les autres morceaux. Le résultat n’est pas mièvre, c’est un mélange surprenant de nappes et de claviers saturés, dans la même veine que les sonorités ultra bourdonnantes décrites précédemment.

Avec aussi peu de morceaux estampillés dance-floor, techno de neuneu, j’ai envie de saluer ce travail colossal. Un bon album doit, à mon sens, dire quelque chose, se positionner au niveau d’une esthétique précise et aborder de multiples propos sans tomber dans le pastiche facile. Il faut dire aussi que Laurent n’écoute pas ou très peu de musique et en somme, cela lui va très bien quand on entend ce qu’il est capable de produire seul, dans son coin, non loin de la raffinerie de Feyzin (photo en couverture de l’album).

Tracklist:

A1. Clobenzorex (1988)
A2. Soundscape 5 (2013)
A3. Feed Me (2013)
B1. B (2014)
B2. Alone (2014)
B3. Soundscape 2 (2013)
C1. 181 (1989)
C2. Congestion Cosh (1995 )
D1. Soundscape 1 (2013)
D2. Hole (1996)
E1. Autour Du Signal (2013)
E2. 176 (1989)
F1. Soundscape 4 (2013)
F2. Drones (2015)
F3. Soundscape 3 (2013)
F4. La Pluie (1986)