John Osborn pratique l’art du Djing depuis 20 ans. Co-fondateur de Tanstaafl Records, il dirige le label aux côtés d’October et d’Eric Cloutier. Entre Tanstaafl, le graphisme, sa famille, et ses dates, c’est un homme très occupé que j’ai pu rencontrer dans le studio qu’il partage avec Tallmen 785, où j’ai interrompu une session des deux producteurs.
Évoquant son agenda, il plaisante d’abord sur l’anniversaire annulé de sa fille, « par chance » tombée malade, ce qui lui permet de venir travailler. Nous parlons de Berlin, de la technologie, et de comment les deux producteurs sont agacés par les téléphones. Se souvenant d’Enter, la soirée de Richie Hawtin à Ibiza, il éclate de rire lorsqu’il évoque le film avec lequel vont se retrouver ces 2000 personnes en train de littéralement filmer un mur. « Mais ces objets ne seraient-ils pas devenus des extensions de nos corps ? » se demande-t-il, alors que nous échangeons sur les fossés générationnels, et qu’il se remémore son père lui déclarant trouver sa musique répétitive.

Tu as donc joué aux côtés de Scuba il y a quelques semaines. Je me souviens avoir été présent lors de ce fameux b2b au Panorama Bar.

Grâce à ce set qui s’est retrouvé sur mnmlssg, nous avons reçu beaucoup de requêtes pour jouer ensemble. En fait c’est Paul qui a eu l’idée pour le Sisyphos, je lui ai dit qu’ils m’avaient invité et il m’a répondu « ok, je vais venir jouer avec toi ». Je lui alors demandé s’il en était sûr, car ils ne paient pas, on le fait par passion. Mais il a toujours cet « amour » en lui, même s’il joue un nombre gigantesque de dates.

Cette année a vu la fin de SUB:Stance, c’est aussi la fin des Tanstaafl Nights. Tu ne veux plus t’impliquer dans cette facette de l’industrie ?

Exactement, et cela va sonner très égoïste, mais c’est principalement pour me concentrer sur moi-même. Il est arrivé un moment où c’était juste trop de travail, je faisais aussi cette émission sur la radio TwenFm, j’aurais aimé continuer, mais tout organiser prenait juste trop d’énergie. Il est temps pour moi de passer plus de temps dans le studio.

Vous avez l’intention de sortir quelque chose pour marquer la fin des Tanstaafl Nights ? Un peu comme le boxset Sub:Stance ?

Ça aurait été bien, mais nous n’avons pas le temps. À l’heure actuelle, la majeure partie de notre énergie est dirigée sur le sous-label Tanstaafl Planets. Au départ le concept de Tanstaafl était de faire passer toute la musique par le studio d’October à Bristol. Afin que tout possède un peu la même « saveur ». C’était inspiré d’Underground Resistance et du studio de Mad Mike où tout était réalisé.
Nous avions envie de recréer cela, mais nous nous sommes rapidement rendus compte que cela n’allait pas être possible. Nous avons alors décidé de ne sortir que notre musique sur Tanstaafl. Mais nous avions accumulé beaucoup de morceaux, c’est pourquoi l’on a créé ce sous-label où nous allons sortir d’autres artistes. Le premier fut de Kel (Skudge), le second de Tallmen 785, et nous avons déjà prévu les sorties de l’année prochaine avec entre autres Kowton et Fred P.

Tu n’écoutes donc pas les démos qu’on t’envoie ?

Je peux les écouter et donner mon avis, mais je ne peux pas les release. À moins qu’un morceau me coupe le souffle… J’aime penser qu’il y a d’incroyables producteurs complètement inconnus, j’ai vendu mon clone de 303 il y a quelques semaines afin de m’acheter un nouveau synthétiseur. Ce gosse est arrivé pour l’acheter et j’ai eu la sensation de vendre ma 303 à mon fils. J’avais presque envie de ne pas prendre l’argent… Le jour suivant il m’a envoyé un morceau fait avec la 303, et je me suis dit « putain wow, il l’a depuis 24 heures et il m’envoie déjà de bons morceaux ! ». Il m’a envoyé davantage de trucs, donc je peux espérer, c’est peut-être lui l’élu.

Quelle anecdote ! : « je l’ai rencontré sur Ebay et j’ai commencé à sortir sa musique ».

J’étais abasourdi. Si jeune, et ses compétences techniques déjà si bonnes. Cela revient à ce que je disais sur la technologie, les enfants grandissent avec. Bryan et moi pourrions prendre la tête à un jeune et lui dire : « hey, ça suffit avec ton portable ! », et recevoir en réponse : « je viens de faire un morceau, je n’étais pas sur Facebook, j’étais en train de travailler ».
J’ai le sentiment que la « dance music » n’existe plus que sur internet, sur Facebook. On en parle sur Facebook, on se rencontre dans le club, et ensuite on parle des morceaux entendus de nouveau sur Facebook .

Il est vrai que Facebook est un peu devenu la porte d’entrée d’internet.

De nos jours c’est pratiquement la première page ouverte. J’ai eu besoin de temps pour m’y faire, de me rendre compte si c’est un outil pour la promotion, le marketing, et ce sont deux mots que j’abhorre. Mais en même temps, comment faire pour que les gens sachent ce sur quoi je travaille ?

On doit trouver un équilibre complexe.

Voilà, je ne peux pas poster un mix et dire « hey ! Regardez-moi ! » . Je suis par nature à l’opposé de cette démarche. Je préfèrerais que les gens trouvent eux-mêmes, mais si je ne le poste nulle part, comment cela sera trouvé ? Je dis donc : « ok, c’est ce que j’ai fait, et vous pouvez l’écouter si vous le désirez ».

Poli et humble.

Je ne veux pas être pris pour un connard narcissique ! Tu as dû lire cette interview récente de Radio Slave. Il dit plusieurs choses intéressantes, et ce qui m’a marqué entre autres c’est lorsqu’il déclare : « vous pouvez faire des morceaux magnifiques et les sortir sur vinyle en limité / artiste inconnu / tamponnés à la main, et un tas de DJs vont les jouer. Et vous penserez que les dates vont venir, mais elles ne viendront pas car personne ne saura qui vous êtes ».

Tu sembles très influencé par la science-fiction.

Je suis un peu un « singularitarian », Steven Hawkins, Isaac Asimov… Cette vision du futur me fascine, et mon amour de la techno y est probablement lié. Jeff Mills m’a toujours épaté avec ses concepts. Ça me passionne, et nous avons vraiment une connexion avec October sur ce sujet. Tous nos morceaux ont des noms en relation avec la science-fiction, cependant nous ne voulons pas nous bloquer dans un angle, mais ça a été naturel. Ce genre m’a offert une porte d’entrée vers une réflexion philosophique sur la vie, l’univers, les forces cosmiques. Aussi, c’est fun, surtout si on a un type de vision utopique du futur, où les guerres, les religions, la finance n’existent plus avec une sorte de race humaine « éclairée ».

Tu n’as pas cette vision avec une « dystopie », un monde où tout finira détruit ?

J’essaie de rester optimiste ! Le concept de GNR (génétique, nanotechnologie, robotique) me captive, lorsque ces trois domaines vont se rencontrer, nous accéderons à une nouvelle ère. Bien entendu je me rends aussi compte des dangers, si l’on s’inquiète de virus informatiques aujourd’hui, imaginons dans une quarantaine d’années !
En tout cas la possibilité de transférer ma conscience m’éblouit, lorsque nous serons tous des êtres digitaux d’une manière ou une autre. J’ai aussi trouvé dans Hawkins énormément de points communs avec le bouddhisme.

Quel est ton point de vue sur le digital ?

Il est intéressant de noter qu’au début c’était hype et que ce fut suivi par un contrecoup. Je pense qu’à l’époque cela ne sonnait pas si bien que ça, mais maintenant c’est plutôt bon, et les producteurs ont trouvé un équilibre entre machines et ordinateurs. La production est devenue plus accessible, la principale raison qui m’a empêché de produire dans les années 90, c’était juste parce que c’était trop cher. Je ne pouvais pas m’offrir cet équipement, je n’avais pas l’espace pour. Mais je me moque si cela vient d’un ordinateur ou pas, un bon morceau est un bon morceau, et c’est tout !
J’ai utilisé uniquement les vinyles pendant longtemps, mais récemment j’ai parlé avec George Fitzgerald. Lui et SCB jouent avec des Cds. Je n’avais jamais dénigré cela, mais je n’avais juste pas appris à me servir de ces outils. Je tiens aussi à la qualité du son, et les fichiers en digital étaient pour moi des sources sonores inférieures. Mais George m’a appris comment enregistrer mes disques, et comment cela va en fait sonner mieux que si je jouais le vinyle en club.

Cela m’apparaît assez obsessionnel.

Je sais, et j’adore ça. Je nettoie le vinyle, je l’enregistre, pour le placer ensuite entre deux pages de beau papier japonais pour finalement l’archiver. C’est très méditatif, et je joue encore des vinyles, mais à présent j’ai aussi à ma disposition des fichiers en digital qui sonnent mieux que le vinyle original. J’ai trouvé une méthode qui me permet d’augmenter la qualité sonore, et qui en plus me donne un certain son qui m’est propre. Une nouvelle esthétique atteinte par l’aiguille, le pre-amp, comment j’ai EQ, les limiters utilisés. On pourrait jouer le même disque, et mon enregistrement, et cela semblerait légèrement différent. Cela me donne un certain quelque chose en plus d’une meilleure qualité.
Je découvre aussi les fonctionnalités de ces lecteurs. Je suis donc comme un gosse, et je ne me suis pas senti excité comme ça depuis que j’ai eu mes platines en 1995. Je suis impatient avant chaque date de mettre mes mains sur ces outils et de jouer mes disques d’une nouvelle façon. J’ai de nouveaux challenges, et j’espère que cet enthousiasme se transfère au dancefloor afin que les gens passent un bon moment.