Les quinquas progressionistes qui s’étaient battus pour imposer la supériorité de la qualité sonore du support Compact Disc par rapport à celle du vinyle vont pâlir. Depuis quelques années c’est le « retour » de la cassette audio dans l’industrie musicale. Retour ? En fait la cassette n’a jamais disparue et est toujours restée assez présente, notamment dans les musiques indé rock. Celles-ci n’ont jamais réellement cessé de considérer les parasites sonores du support K7 comme une valeur ajoutée à leur création.
En ce qui concerne la musique électronique, les tout premiers sons synthétiques furent gravés sur bandes pour être aisément superposés, mixés, scratchés, déplacés dans le temps et l’espace, notamment dans l’électroascoustique des débuts.
Aujourd’hui, la cassette résiste encore, notamment avec à des labels internationaux comme The Trilogy Tapes, 1080p, Umor Rex ou encore Wichelroede. Et sur ce point, la France n’est pas en reste (les gênes de Pierre Schaeffer et de ses expérimentations révolutionnaires sur bandes magnétiques se seraient éparpillées sur le territoire ?) grâce à des labels comme Opal Tapes, In Paradisum, Tripalium Corp, Editions Gravats et… Collapsing Market.
Collapsing Market c’est un label parisien fondé en 2014 par Louis Vial aka Eszaid et Cyrus Goberville. Les deux amis ont déjà un beau CV : Overdrive infinity, warm-up de Varg à Londres, Woodfloor, soirées Jeudi Minuit, émission sur Rinse… Et créateurs d’un des labels français les plus novateurs esthétiquement. Le label Collapsing Market associe des mixs « expérimentaux », ambiant, dub techno et parfois noise, à un artwork glitché et élégant fait par Pablo Hnatow, déposé sur une cassette audio qui impose de par elle même une identité analogique aux codes restreignant. Et pourtant, il semblerait qu’ici (comme dans de nombreux labels de cassette) le minimalisme du support induise une liberté de création infini. Aux petits moyens les grandes idées.
Le support cassette apporte de l’analogique à prix cassé et un côté intimiste et DIY chéri par de nombreux artistes. Les sonorités lo-fi, les pleurages et scintillements, les souffles, tous ces bruits parasites ont dû être acceptés par les DJ et directeurs du label, qui peuvent aussi choisir d’en faire une matière première de création.
Dans Collapsing Market, le support, le concept, le label, son nom, son artwork et sa musique, chaque élément est harmonieux avec un autre. Tout nous pousse dans un univers de glitch mesuré, coloré et délicat qui appuie le nom du label et sa musique. L’œil voit les symboles monétaires ridiculisés, l’oreille entend la musique indus s’auto-détruire et se reformer en boucle, les mains touchent un objet fragile.
C’est un fait, le support cassette peut se tordre, se démagnétiser, se détendre, se faire avaler par un chat, voir son écrin de polystyrène facilement brisé… bref ce n’est pas le support le plus pérenne. Et pourtant Louis et Cyrus confient dans une interview pour Trax que l’intemporalité de la musique qu’ils embobinent est un des principaux critères de sélection. Pour éviter de se lasser, c’est une musique un peu moins accessible que les deux amis recherchent. Une musique qui prend un certain temps avant d’être entièrement intégrée ou qui peut être redécouverte à l’infini. Pour se faire, Cyrus et Louis ont fait appel aux anglais Andrews Lyster (CLPM001), Leif et Joe Ellis (CLPM002) et Nick Craddock (CLPM003). Pour la 4e sortie du label, c’est les fondateurs du label français Latency Records, Sidney et Suleiman qui ont apporté leur savoir-faire. La dernière -pour l’instant – sortie cassette du label est signée par le grec Dimitris Doukas aka Restive Plaggona. Rojava étant la ville qui inspire et mobilise le plus les producteurs en ce moment (notamment grâce à female :pressure) c’est sans surprise que le grec intitule son ensemble de 10 titres originaux Rojava’s Model. Le modèle de Rojava, cette région fédérale maintenant indépendante et pro-égalitaire, coincée dans une syrie en guerre. Encore une fois, l’identité esthétique est renforcée, le romantisme s’impose face aux délabrements, et ça s’entend aussi dans la musique de Restive Plaggona. Une face A presque dramatique, déstructurée et mécanique qui se retourne à notre guise vers une face B exceptionnelle et légère.
Après avoir jouît des plaisirs du support cassette, Cyrus et Louis s’essayent à la sortie de vinyles, notamment avec un excellent EP de ce dernier sous son alias Eszaid, nommé €€€. Le morceau Ambr Flashing Light est vivement recommandé. C’est aussi en vinyle que l’EP de Buttechno est sorti.
On attend encore de grandes choses de la part de Cyrus et Louis, et on leur dit merci d’apporter la concrétisation de cette vision inspirante à l’industrie musicale.