Le fait que la dernière livraison en date d’Edward sur le toujours aussi confidentiel mais indispensable label de Weimar Giegling sorte dans la quasi indifférence générale n’a rien pour surprendre. L’allemand sait désormais autant que l’écurie qui l’héberge (après avoir été un temps sous le giron du label White d’Oskar Offermann) se faire d’une extrême discrétion, entourant chacune de ses sorties d’un parfum d’inédit qui n’a jamais aucun mal à affoler tout amateur de house qui se respecte. Notre homme est donc un habitué du fait, se moquant des tendances depuis plus d’une décennie en imperturbable dilettante. Edward possède en chacune de ses compositions ce don d’équilibriste, que l’on pourrait effectivement qualifier de magique tant il sait retomber à chaque fois remarquablement sur ses pieds quelque soit la situation ou la difficulté de l’exercice. Le producteur a toujours montré un sens aiguisé du détail, de l’angle d’attaque qui fait mouche à tous les coups, et cette modernité de la production qu’il marie à un groove imparable. On ne voit guère d’autres compatriotes qu’Isolée ou Roman Flügel pour allier avec autant d’aisance rigueur et hédonisme. Après un troisième opus l’année dernière (Fortune Teller toujours chez Giegling) beaucoup plus conceptuel dans son approche et donc moins housy que son brillant prédécesseur Into A Better Future en 2014, Edward lâche en 2019, année où le revival 90’s et trance n’avaient jamais à ce point infesté le genre, un nouvel e.p Hoocked On Magic, résolument plus techno.

Ayant bien senti que le vent était en train de tourner (court) pour une scène techno en manque cruel de renouvellement, et que le retour aux sonorités des origines, principalement de Détroit, pouvait être un tramplin habile plus qu’une mine sans fond de révérences, Edward ouvre donc ce nouveau maxi avec Jap collage, plongée sous LSD dans une jungle urbaine futuriste et abyssale, telle qu’aurait pu la fomenter en son temps la motorcity, sauf qu’ici c’est Détroit qui fait office de collage. Le flux épileptique d’images laisse émerger par instant les reliques d’une motorcity que l’on pensait à tout jamais disparue : ces nappes estampillées Transmat circa 1993, ces fantasmes de civilisations primitives aztèques ou d’high-tech asiatique. C’est un Détroit recomposé qui se présente dans ce morceau à la construction bigarrée où il est difficile de ne pas perdre pied et se laisser happer par son break.

Le dépaysement est donc total tant on ne s’attendait pas à cette tournure techno de la part de l’allemand, tant aussi sa pâte y est ici immédiatement reconnaissable. Comme sur la scénette Time Shift en forme d’interlude hallucinée, qui à tout d’une chute égarée de Fortune Teller, où Edward s’amuse à se faire peur en superposant les pistes jusqu’à ce qu’apparaissent quelques fantômes. Car il s’agit bien de cela à travers ce maxi à la mélancolie tenace, d’un jeu de piste dont les tenants sont somme toute bien sérieux, d’un constat simple mais sans appel qui devrait retentir au delà des seuls dancefloors, qui malheureusement n’ont pas ou plus à s’en soucier : faire revenir les esprits là où ils ont été totalement banis, errer à l’intérieur d’un genre obnubilé par l’efficacité et qui s’est vidé de son âme à force d’autocaricature (Whistle mais surtout Hidden Mirror et son ambiance crépusculaire qui doit au meilleur d’Isolée et de Swayzak). C’est au milieu de ce champ de ruines d’une culture qui s’est trop éparpillée et oubliée qu’Edward tisse avec une classe et une élégance inouïes, comme un caméléon sait se fondre dans son environnement tout en n’en disparaissant jamais tout à fait, un ultime et délicat fil reliant la house, la techno et la minimale. Un geste esthétique et musical salutaire et assurément un maxi qui marquera, sans crier gare, une année 2019 bien maigre en musique excitante. Edward peut dormir tranquille et continuer de se promener à sa guise au gré des vents et des chemins, personne (encore) ne viendra le déranger à de telles altitudes.