Natif de Turin Lorenzo Chiabotti casse un stéréotype en affichant une certaine timidité. Il évoque sa pudeur et regrette de ne pas être capable de plus se promouvoir. Mais lorsqu’il s’agit de musique, il sort de sa réserve pour évoquer, enjoué, comment enfant il jouait déjà avec les platines de son père, et s’amusait au grand dam de celui-ci avec les câbles de la chaine hifi. Alors qu’il se préparait à devenir batteur de jazz, il a trouvé sa place dans la musique électronique, pour laquelle il dédie sa vie.

Lorsque je t’ai proposé de faire ce podcast, tu m’as avoué ta réticence pour cet exercice, tu peux développer ?

C’est vrai, je suis assez protecteur vis à vis de ma musique. Le problème d’un podcast, c’est qu’il y a toujours quelqu’un pour donner l’ID de tel ou tel track. Je passe des heures et des heures à rechercher de la musique, ce qui m’amène à découvrir d’autres morceaux. C’est bien d’arriver avec une liste chez le disquaire, mais je trouve que c’est encore mieux de digger, que ce soit dans un magasin ou online.

Est-ce que tu penses que digger est la plus importante partie du travail d’un DJ ?

Oui évidemment, dig, dig, dig.

As-tu des moments de “frénesie” où tu passes ton temps à chercher et acheter de la musique, ou est-ce un rituel quotidien ?

Plusieurs heures par jour, en général le soir après le dîner quand je suis chez moi avec ma copine. Elle fait pareil car elle est aussi DJ. On écoute les promos et les nouveautés, et je me perds vraiment sur Discogs ou Beatport chaque soir. C’est un peu comme la lecture d’un livre, et si je suis de bonne humeur, la musique m’atteint naturellement. J’en reviens à mon côté protecteur, mais si je passe six heures à trouver un morceau, ça m’ennuie un peu que quelqu’un puisse le découvrir direct sans passer par le voyage pour y arriver..

Tu sembles être un ardent défenseur de Beatport.

Je joue vinyles, mais on trouve de la musique sur Beatport qui n’est accessible nulle part ailleurs. Beaucoup de DJs qui jouent uniquement vinyles me demandent souvent des tracks que j’ai trouvés dessus. Ça peut parfois être quelqu’un au milieu de nulle part qui upload juste un peu de musique, et je suis tombé dessus on ne sait comment.

Comment es-tu arrivé à la musique électronique ?

À 17 ans je suis allé à ma première rave. J’avais un groupe à tendance rock fusion à l’époque, mais je jouais avec des personnes beaucoup plus âgées. Au bout d un moment j ai commencé à être vraiment frustré car ils n’avaient pas les mêmes attentes, c’était des adultes qui n’y croyaient plus vraiment, qui manquaient de dévouement. À cette époque je suis allé à ma première rave et j’ai découvert les boîtes à rythme avec un des mes professeurs. J’ai compris que j’adorais ça, et depuis je suis resté dans la musique électronique. C’est bizarre, j’ai toujours ressenti que les machines et samplers me correspondent plus que la batterie, j’aime programmer.

C’est donc venu naturellement ? Y avait-il un environnement autour de toi qui t’y avait préparé ?

En fait ma ville natale est une ville industrielle avec beaucoup d’usines, de hangars, et à la fin des années 90 il y avait énormément de raves illégales, la scène était fantastique. Les vendredi, samedi, dimanche on y voyait des producteurs faisant de purs live sets, pas de dj sets. Il n y avait même pas Ableton à l’époque, tout était analogique.

C’est intéressant, on a vraiment l’impression que les villes industrielles permettent le développement d’une scène techno florissante.

La réutilisation des espaces, et peut-être effectivement une sorte d’inspiration.

Que produisais-tu au début ?

J’ai commencé avec le breakbeat, à l’époque la techno dans ces soirées montait jusqu’à 170 bpm, c’était trop rapide. Mais il y avait toujours une autre scène avec de la breakbeat, et j’adorais ça, j’ai commencé à faire des live sets de breakbeat, car c’était ce qui se rapprochait le plus de la batterie. Je recopiais sur les boîtes à rythmes mes exercices. Au début je n’achetais pas beaucoup de disques car mes économies ne me le permettaient pas vraiment.

Tu expliques comment ton évolution musicale ?

Lorsqu’on grandit on change, par contre j’ai toujours su que faire de la musique m’occupera toute ma vie.

Tu as déménagé quand à Berlin ?

C’était après beaucoup de saisons à Ibiza. Je suis allé à Ibiza après avoir essayé pendant deux ans de jouer à Turin. J’étais vraiment en colère à l’époque, je me disais « oh mais pourquoi ils ne me laissent pas jouer », mais maintenant je comprends que je n’étais pas assez préparé pour les clubs. Je suis donc allé à Ibiza pour travailler et j’ai rencontré Luc Ringeisen qui lançait Vinyl Club. Je lui ai montré des morceaux, et quelques semaines plus tard on jouait ma musique au DC10, il a ensuite sorti un de mes disques dix mois plus tard. À l’époque j’étais runner au DC10, pendant que je ramassais les bouteilles par terre, les DJs jouaient ma musique, un cauchemar. (rires)

J’imagine, tu gardes quoi de ces saisons à Ibiza ?

C’est vrai que c’est un peu commercial, mais lorsqu’on y vit, c’est incroyable. Il faut y avoir sa vie, son travail, des amis. Mais lorsque je suis arrivé à Berlin en 2010, je ne me suis jamais posé la question de repartir vivre à Ibiza.

As-tu des lignes directrices, des éléments en tête quand tu produis ?

J’ai des milliers de projets, et quand je crée un morceau, j’essaie de combiner les meilleurs éléments. Je trouve que mon problème, c’est que ça a toujours tendance à un peu trop taper, mais j’essaie de diminuer cet aspect, de rendre tout plus calme. J’ai la chance de pouvoir tester mes projets à l’Arena Club où je travaille. Chaque semaine je viens un peu plus tôt, et j’écoute tout sur le dancefloor vide. C’est un excellent feedback pour les arrangements.

Ça me surprend, j’avais plutôt tendance à trouver tes morceaux mélodieux.

J’adore les harmonies, et je travaille beaucoup sur la mélodie. C’est un peu un puzzle, j’ai une idée en tête de ce que je veux faire, mais il me faut beaucoup de temps pour produire et mettre en place toutes les pièces.

Tu ne regrettes pas d’avoir abandonné la batterie ?

Quand je jouais de la batterie, je faisais du rock, du metal, j’adorais ça mais au bout d un moment la passion s’estompait. Avec la musique électronique -et cela après plus de dix ans- je suis encore « woow ». Quand je vais au Berghain je ressens des frissons, ma peau qui bouge, et je précise que je n’utilise pas de drogues. Je suis toujours aussi surpris par un bon DJ, toujours surpris comment ça peut être aussi bon.

Une forme d’innocence ?

Je pense que cette musique est une partie intégrante de mon être. Je me souviens enfant demander à ma mère de m’emmener en voiture voir les usines dans les quartiers industriels. À Berlin presque tous les clubs sont des usines désaffectées, c’est donc parfait.

Je n’aurais pas pensé à industriel pour qualifier ta musique.

Le rythme si, complètement, mais c’est vrai que j’essaie d’y ajouter une touche d’élégance. Mon objectif principal est de faire quelque chose d’inattendu, ajouter des harmonies venant du classique, un sample hip hop, par exemple j’enregistre souvent des vieux disques des années 50 dont je retravaille des éléments. J’ajoute beaucoup de textures. J’essaie de trouver une âme, tout comme lorsque je mixe j’essaie de construire une narration, de raconter une histoire.

Tu es un fanatique de matériel ? Comment tu produis ?

J’utilise un peu Ableton, mais principalement Logic, ensuite j’ai quelques machines et samplers.

Tu me disais avoir commencé par faire des lives, est-ce que c’est complètement abandonné ?

Je jouais un live set à Ibiza, mais j’ai fini par me lasser du live. Là-bas si on allait faire une after, c’était toujours problématique de ramener tout l’équipement. Je m’amuse plus en tant que DJ, par contre je joue beaucoup mes morceaux, et je crée souvent des boucles avec les CDJs tout en mixant avec des vinyles. J’aimerais bien refaire un bon live set, mais cela demande beaucoup d’énergie que je préfère utiliser pour la production, ou les DJ sets.

C’est aussi une question d’interaction avec la foule ?

Oui exactement, pendant un live on doit être vraiment concentré, et on est extrêmement occupé. Il n’y a pas le temps d’interagir et de profiter de la foule.

Tu sembles pousser l’art du djing assez loin, tu as déjà été intéressé par Traktor par exemple ?

J’utilisais Traktor à Ibiza car c’était plus facile de ramener un ordinateur un peu partout, mais ce n’est pas vraiment mon truc. Je joue beaucoup de cds, ce qui revient un peu au même. Quand on s’entraine chez soi à mixer, on se forme un goût pour le DJ set. Je pense qu’avec Traktor, beaucoup de gens se contentent d’appuyer sur un bouton. On se contente de chercher de la musique et on « appuie » un peu trop. C’est mon ressenti, ne pas rester chez soi, et ne pas passer ces longues heures à s’exercer, cela retire beaucoup à l’essence du DJ.

Tu penses avoir atteint une certaine maturité ?

Lorsque je vivais à Ibiza, j’étais un peu attiré par la hype, mais maintenant je me concentre sur mon propre style. Au final j’ai peut-être moins de bookings mais ils sont de meilleure qualité. J’ai pu jouer récemment sur des line up avec Tama Sumo, Mike Shannon, DeWalta.

Un dernier mot sur le mix ?

C’est l’enregistrement d’un warm up avant Matthew Styles à l’Arena Club pour une soirée que j’organise, la A=. C’était un 12 juillet avec Matthew Styles et Agaric.

Interview by Christophe. Photo © Inès Berra Viola.