Le « tu verras, il est plutôt timide » lâché par sa manager ne m’avait pas tellement effrayé. Mais en préparant ma rencontre avec Funk E, je me suis aperçu que je pouvais nourrir quelques craintes. Les mails échangés furent peu rassurants, et je me suis rapidement rendu compte que je m’apprêtais à infliger une rude épreuve à ce natif de Bucarest. Bien conscient de cette situation, je propose une rencontre dans un café plutôt que dans des bureaux afin d’échanger dans une atmosphère plus détendue.
Pudeur, défiance à l’égard des médias ? Difficile à dire, mais c’est avec ces éléments en tête que je me dirige vers Hardwax où nous avons convenu de notre rendez-vous. « Hier encore, j’ai demandé si cela était vraiment nécessaire », me glisse-t-il avec un sourire alors que je m’excuse de mon métier, « mais j’ai accepté donc je n’avais plus vraiment le choix, par contre je compte rester minimaliste dans mes réponses, deux ou trois mots au maximum » me prévient-il.

Lorsque je lui demande pourquoi il n’a jamais accordé d’interviews avant celle-ci, sa réponse est déconcertante de simplicité : « moins de mots, plus de musique ». Il utilise la même formule lorsque nous évoquons son passage du hip hop à la house. Après la chute de Ceaușescu, les radios purent enfin diffuser de la musique ; absorbé par ce qu’il avait découvert, il n’a plus quitté le hip hop jusqu’aux alentours de 1998. « Cela s’est passé comme ça, puis du jour au lendemain, j’ai eu envie de moins de parlote, plus de musique » précise-t-il.
Nous en arrivons à parler du son roumain, « c’est un genre à part entière, comme la tech-house par exemple, mais chacun développe son propre style ». Difficile lorsqu’on évoque Bucarest de ne pas penser à [a:rpia:r], avec les Rhadoo, Raresh, et Petre Inspirescu devenus depuis 2007 les trois champions de la minimale techno. Mais je sens une gêne chez Funk E lorsque je mentionne ce label. « Si je suis plutôt réticent à parler de moi, vous pouvez imaginer que c’est encore plus complexe lorsqu’il s’agit de parler d’autres ».

La passion apparaît comme son principal moteur, et il ne désire surtout pas échafauder des plans de carrière. Aujourd’hui même, il ne sait pas où il va, et n’a jamais pensé ou décidé d’être DJ : « je n’y pense même pas, c’est juste arrivé comme ça ». Ses sets se déroulent aussi de cette manière, il ne prépare pas, « je ne réfléchis jamais aux deux ou trois prochains morceaux, je me laisse porter par le flot, l’intuition ». Il apprécie jouer son propre matériau, « il y a énormément d’excellente musique disponible, mais on crée une forme, une atmosphère particulière lorsque personne ne peut reconnaître les morceaux ».

Minimal dans ses réponses, minimal dans sa musique, voilà définitivement une esthétique qui lui tient à cœur, « c’est un style, mais c’est aussi dans mon caractère, une musique simple ».
Contrairement à beaucoup d’autres, il n’a pas besoin de studio ou d’une abondance d’équipement pour la production : « je fais de la musique partout, dans l’avion, sur la plage, lorsque l’inspiration vient, on n’a pas besoin de toutes ces choses ».

2014 commence fort avec une sortie sur Vinyl Club, et la première release de son label Great Empty Circle. Doucement mais sûrement, Funk E s’installe comme l’une des figures les plus intéressantes de la scène roumaine, mais au final il s’en moque, « je fais mon truc, et tant mieux si certains apprécient ». Qualifié par certains comme mystérieux, je serais tenté d’y ajouter secret. Mais finalement pour le décrire, c’est sans doute « sound & silence », les deux mots inscrits sur sa page d’artiste qui lui conviennent le mieux : « j’apprécie le silence, en fait j’écoute beaucoup de silence ».